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Feist & Apostle of hustle (live)
Baby, you’re in luck





Qui faut-il remercier lorsqu’au court d’un concert, la première partie, sans parvenir tout à fait à eclipser la star, réussit à percer une brêche, une tranchée dans l’indifférence générale des conversations de bar ? Des exemples célèbres - Hendrix en première partie de Johnny à l’Olympia - aux plus anonymes, prenons le cas d’ Apostle of Hustle.

Le Canada ne fournit pas que du saumon d’élevage, du rap philarmonique ou des stridences gonflées d’un sérieux un peu vain. Ce soir-là, nombre des jeunes gens à la mise en pli tendance venus voir Feist n’avaient jamais entendu, ne serait-ce que parler, de cet autre groupe au nom imprononçable.

Imagerie rock, esprit folk.

Apôtres du tourbillon, de la bousculade, de l’arnaque, de la prostitution. L’anglais n’est parfois pas langue précise. Surprise donc à les voir se placer dans l’arène le visage calme, le pas traînant comme une bête au manège, et la question s’impose, absurde : peut-être sont-ils chevaux ? Sur la jaquette de l’album, un pied d’homme est placé en face d’un sabot, deux mains caressant la plante de chacun sur un fond d’ocre rouge. Darwin avait donc tort. L’homme ne descend pas du singe, mais du cheval. A défaut d’indices plus précis, et sans rentrer pour autant dans des conjectures anatomiques, peut-être s’agit-il simplement de comparer l’état du bonhomme à sa monture. Car l’apôtre s’épuise, il se rue, prend de front ses obstacles : l’apôtre boit, se bat, l’apôtre en réchappe, il se drogue même, saigne et tombe. Le voilà tel qu’en lui-même sur les dessins (très laids) des liners. Un être libre, moderne, décadent - un peu vain.

Il nous reste l’espoir qu’Andrew Whiteman soit aussi bon musicien que mauvais dessinateur. Car cet habillage sex-drugs-rock-n-roll des textes, des dessins, des titres (Animal Fat, Dark is what I want, Energy of Death), leur hédonisme premier degré pourraient en faire fuir plus d’un. De même ce titre maladroit d’album, Folkloric feel, laissant craindre invasion de harpes, cornemuses, binious et consorts. Il n’en est rien. Folkloric feel se bornerait donc à cette proximité : l’homme, qu’il soit ou non apôtre, aime à se faire animal.

Délaissons l’imagerie, music maestro. De cette sensation folklorique, l’acoustique se révèle principal maître d’oeuvre : toujours présent, mais capable comme dans le morceau éponyme ouvrant l’album de disparaître pour laisser place à un son plus gras, plus électrique, où la voix reste pop, aérienne, légèrement à la traîne. A chaque genre, chaque époque son apôtre. Qu’importe donc leur proximité d’avec l’axe du bien : nos apôtres ont l’élégance de miser large.

Eclectisme réussi.

Ils sont capables de beaucoup. Demandez-leur de s’adapter au format radio, cela donne Sleepwalking Ballad ou Energy of Death, avec une ossature, des mélodies et des refrains simples, légers, séduisants. Légèreté que l’on retrouve dans les mélodies vocales de Queens and Kings, comme en écho de Stéréoloab. Optez pour le genre des ballades épurées à la Lambchop et leur mine fin-de-partie sur nuit blanche, c’est le magnifique They Shoot Horses, Don’t They.

Derrière cette aisance à s’emparer d’un canevas, les compositions d’A of H peuvent se faire plus complexes, comme dans Song for Lorca, où se mêlent poésie, rythme occitant et ce je-ne-sais-quoi dans l’inflexion du chant qui rappelle de très loin Leonard Cohen, comme sur les choeurs d’Animal Fat. Les apôtres n’abusent pourtant pas de cette tonalité plus intimiste qui enveloppe certains morceaux, comme sur Baby, you’re in luck, où la voix d’Andrew Whiteman se rapproche, ce qui n’est pas sans déplaire, de celle de Martin Acher, des Notwist.

Un son pop avec des rythmiques oscillant entre le minimalisme (Gleaning) et l’ampleur plus électrique des seventies (Dark is what I want) : les apôtres signent un disque éclectique en évitant le piège du fourre-tout. Plus que d’Energy of Death, dont le titre rappellerait plutôt les élucubrations d’un sympathique groupe à cheveux longs, leur cohérence est dans ce vrai talent mélodique qui se détache et propose un univers sonore différent sur presque chaque morceaux. A l’heure de Mondovino, voilà qui vaut pesant d’or.

Feist en lumière.

Sur scène les apôtres délivrent un set parfait. Ils sont visiblement très heureux, comme on les comprend, de jouer avec leur égérie. Car bien sûr Feist fut meilleure que ce qu’on espérait d’elle. Au petit jeu qui consiste à résumer un album en trois adjectifs, on pouvait être tenté par doux, proche et lisse, avec cette nuance de reproche contenue dans le dernier des trois. Seul obstacle à éviter sur scène, et que Feist balaye d’un revers d’ongle. Elle apparaît en jupe légère et petit haut blanc, tout son être millimétré pour séduire, et cela marche évidemment. Fluide, sûre d’elle face à la salle bondée, passant d’un titre à l’autre avec une sorte de grâce son album Let it die dans un son légèrement plus électrique, plus tranché que sur disque. Un rien qui suffit à rendre habités des morceaux parfois trop lissees, où sa voix se pose en aigus près d’harmoniques parfois risquées.

Un ange passe.

Sur l’album comme en concert, derrière l’habile contenu plein de soie - et sans réelles surprises, mais faut-il être toujours surpris - de sa musique, Feist demeure une des plus belles voix pop récentes : légère, aérienne, caressante, étonnamment proche. Quelques nouveaux titres, deux reprises, et surtout cette aisance - Feist en pleine lumière savoure et partage avec beaucoup de simplicité son plaisir à un public conquis d’avance. Elle parle beaucoup, blague, se fend d’une chanson en français, offre un happy birthday repris en choeur par la salle pour son clavier et s’excuse de son accent français comme les enfants s’excusent, se sachant déjà pardonnés. Il suffit presque de dire cela : elle sourit les yeux fermés lorsqu’elle danse.

Le concert terminé, beaucoup arboraient dehors ce même sourire, certains d’avoir assisté à un beau moment de scène, sans fausse modestie, d’une diva en train d’advenir. Feist chante et nous montre qu’elle aime que nous l’aimions. Elle invitera même ses trois amis d’apôtres à la noce sur l’Inside Out des Bee Gees, après plus d’une heure trente de bonheur. Baby, you’re in luck, firent les murs.


Stéphane Mas