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Jos de Putter on How many roads + Dylan - Interview !
Portrait of the artist as a young fan





Moins l’icône que le père. Moins la musique que la résonance. Moins le bois que la corde, tantôt sensible, dure, juste ou manipulée. Jos de Putter mise large sur le spectre de l’émotion. Dans un dispositif minimaliste et distant, le cinéaste offre douze portraits d’Amérique. Un premier mythe vu par le prisme d’un autre. Deux mythes, deux voyages, deux films pour un seul regard sur l’Amérique d’aujourd’hui. Rencontre aux Visions du Réel de Nyon avec un cinéaste qui aime à parler boutique et semble toujours filmer à distance pour mieux pénétrer l’intérieur.

How many roads semble autant sinon plus un film sur l’Amérique que sur Dylan. Qu’est-ce que votre second voyage là-bas a apporté par rapport à la première version montrée à Amsterdam ?

Le deuxième voyage a apporté beaucoup de changements, positifs je l’espère. Je voulais dès le départ faire un film sur l’Amérique, à travers la perspective de Dylan. Mais dans la première version, j’avais perdu quelque chose en route. Les histoires étaient trop individuelles, trop bizarres peut-être. J’ai décidé qu’il valait mieux retourner là bas pour un second voyage. Nous sommes donc repartis en Février [2004] et j’ai rajouté deux personnages - le soldat, et l’artiste hip-hop.

Ils sont tous les deux très importants dans la dynamique du film. D’abord par rapport à leur positionnement dans le film - vingt minutes après le commencement et quinze minutes avant la fin. Un film de cette longueur a besoin d’énergie d’une certaine manière, et elle n’était pas présente dans la première version. Il y manquait ces deux personnages. Tous les deux font de plus le lien avec l’Amérique d’aujourd’hui, à la fois au niveau politique et au niveau culturel. Il m’a donc fallu remonter tout le film, enlever un personnage de la première version pour finir avec dix minutes en moins sur la durée totale.

It changed a lot, for the better I hope. I originally wanted to do a film on America, through this Dylan perspective, and in the first version I had somehow lost the connection. The stories were too individual and maybe too strange. Then I decided I should go back to America. So we went there in February [2004] and I added two young people - the soldier and the hip hop artist.

They are both very important for the dynamics of the film. First from their positions, twenty minutes after the beginning and fifteen minutes before the ending or so. A film of this length needs energy and I think maybe it wasn’t there before. These young people were missing. And both of course have a connection to today, both on a cultural level and on a political level. And because of that I had to re-edit the whole film. I took one character out and I shortened the film, about ten minutes.

Comment s’est déroulé le tournage du film durant vos deux voyages ?

Le premier voyage a duré 25 jours et le second huit jours seulement. C’était assez drôle parce que j’avais trouvé tous ces personnages, et puis soudain Dylan a commencé sa tournée et il passait quasiment partout où nos personnages habitaient. Je n’arrivais pas y croire. C’était comme si...

The first trip was like 25 days and the second one was eight days. It was funny because I had found all these people and then Dylan set his tour and he was passing next to all these people. I couldn’t believe it. It was almost like

Dylan avait écrit votre propre script !

Oui, incroyable. En même temps, il nous fallait être très rapide. On avait à peine le temps d’aller du sud de la Georgie au nord de l’état de New York pour filmer les personnages d’une même traite. C’était incroyable.

Yes, unbelievable, but in a real hurry too. We just had the time to move from South Georgia to upstate NewYork and pick all our character in a row. It was amazing.

Combien de temps le tournage a-t-il duré avec les différents personnages ?

Parfois il nous a fallu une journée pour filmer un personnage, comme le soldat, après une demi-journée de préparation, parce qu’il partait réellement pour l’Irak le jour d’après. Avec d’autres il a fallu un peu plus de temps. Nous sommes restés trois jours avec Justin, l’artiste hip hop, et à peu près idem pour Mary, la dame de la maison.

Sometimes it only took one day to shoot one particular character, and other times, with the soldier for instance it was like half a day of preparation and then one day of shooting because it was actually the last day before he left to Iraq. With the hip hop artist we stayed about three and half days, about the same with Mary, the lady with the house.

Combien de temps le montage a-t-il duré ? L’équipe de tournage était-elle très restreinte ?

Pour le premier film, le montage a duré à peu près une dizaine de semaines, plus trois autres semaines après le second voyage. ( ...) Nous tournions toujours de une heure à dix ou onze heures, comme je fais d’habitude. L’équipe était assez restreinte, oui. Un chauffeur, plus mon frère qui s’occupait de tout l’aspect production, un caméraman et un preneur de son.

J’ai longtemps hésité pour le caméraman et je suis finalement content d’avoir travaillé à nouveau avec Vladas Naudzius, un Lituanien qui vit en Hollande, et avec qui j’avais déjà travaillé sur Dans, Grozny dans (The Damned and the Sacred). Pour la simple raison qu’il filme le documentaire comme de la fiction. Et le résultat était ahurissant pour Grozny, vraiment fantastique. Je voulais retrouver cet effet pour How Many roads, afin d’éviter l’immédiateté du film documentaire. Je voulais vraiment faire des portraits de ces gens. Vladas utilise des focales avec des lentilles qui prennent du temps à changer. Et vers la fin, comme nous étions très pressés, quelques flous subsistent dans le film. Le montage n’a vraiment pas été facile à ce niveau-là.

For the first film it was about ten weeks, and then an other three weeks after the second trip. (...)We always shot from one to ten, one to eleven, as I always do. The team was quite small. We had a driver, plus my brother who did the on-line production, and simply sound and camera.

It took me a long time to find the right cameraman and I was eventually glad to have Vladas Naudzius, a Lithuanian cameraman living in the Netherlands, who had already worked with me on Dans, Grozny, dans (The Damned and the Sacred). Because he shoots documentary like fiction. The result on The Damned and the Sacred was breathtaking, fantastic really. So I wanted to get the same feeling here, so as to get way from the immediacy of the documentary style. I wanted to portray these people. But in the end, because we were in such a hurry, and because he had to change lenses, sometimes the film happens to be out of focus. I really had a hard time in the editing.

Quand vous est venue l’idée de structurer le film comme un album avec ces douze portraits comme douze morceaux différents ?

Difficile de répondre, parce qu’il n’y a jamais vraiment de commencement à proprement parler. Il y a toutes ces choses à l’esprit qui finissent par amener à un film en particulier. Tout évolue en permanence, même pendant le tournage et bien sûr durant le montage. Comme lorsque j’ai découvert ce signe et que j’ai compris à cet instant précis comment les utiliser. Tout à commencé avec celui qui disait « Tous les permis de chasse précédents sont nuls et non avenants ».

Le film devait être un road movie à travers deux types de paysages. Le premier est celui des chansons de Dylan, qui nous amène à rencontrer ses signes, ses mots, l’autre étant le vrai paysage américain. Dylan va avoir 65 ans en mai et avec lui toute la génération qui a fait le mythe des années 60. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, l’Amérique est à nouveau en pleine révolution culturelle. Mon but n’était pas de raconter de belles petites histoires sur le passé, mais de me placer dans le présent, pour voir ce qu’il restait de ces signes.

Donc je devais filmer l’Amérique, mais d’une manière différente de ce qui avait déjà été fait. Jim Jarmush l’avait déjà filmée, John Ford l’avait déjà filmée, Tarantino aussi. Comment faire ? Et un jour, je suis tombé complètement par hasard sur ce signe au bord de la route avec son message très dylanesque, cette poésie si particulière jouant sur le non-sens.

It’s difficult to answer because there is never a beginning really. You’ve got all sort of things in your head that somehow lead to a particular film, even while shooting and of course editing. Just like when I saw this sign and realised what I could do with signs. It all started with the “All previous hunting permits are void” sign.

This film was to be a road movie, through two different landscapes. One is the landscape of Dylan’s songs, so we meet his signs, his words, and the actual American landscape. Dylan will be 65 this May and with him the whole generation that wrote the mythical 60s. Now we are forty years later and again America is in the midst of a cultural revolution. I didn’t want to tell nice stories about how good it was back then, but from the present, and see what happened to these signs.

So I had to film America but that had been done already. Jim Jarmush has done it, John Ford has done it, Tarantino as well. So how can you do it ? And I completely by accident bumped into this sign, which clearly had a dylanesque message, all his non-sensical poetry in it.

Vous n’aviez pas l’idée des panneaux dès le départ au moment de l’écriture ?

Non, mais l’Amérique est une terre de signes, des signes toujours intéressants parce qu’ils rappellent en permanence quelque chose. Par exemple qu’aujourd’hui l’Amérique est un pays qui se sent menacé. J’ai donc décidé d’utiliser ces signes, avant de revenir à Dylan avec les panneaux du clip de Subterrean Homesick Blues. Cela m’a servi de déclencheur. Même si on invente toujours le film que l’on fait en avançant pas à pas. Et j’avais cette idée de trouver des gens comme moi, d’une certaine manière, parce que c’est aussi un film sur moi, j’imagine.

Je n’aurais jamais fait de films sans Dylan. C’est sûr que Dylan a été une influence très forte. Je voulais trouver des gens qui se définissent à travers Dylan. Comme s’il leur donnait des outils pour leur permettre de découvrir qui ils sont. L’art peut jouer ce rôle-là. L’art peut être un miroir, mais il peut aussi servir en même temps de jumelles pour regarder au-delà de ce que l’on voit d’habitude. L’art n’est pas autre chose.

No, but you know America is a land of signs and they are very interesting because they are reminders. Reminders that this country is under threat. So I decided to use those signs, and from them go back to Dylan with the dropping of his text signs in Subterrean Homesick Blues. That was the click. Even though you know you always invent the film you’re doing while moving along. And the idea of finding, in a way people like me, you know, because it’s a also a film about myself in a way, I guess.

Because without Dylan I wouldn’t have made films. I’m sure of that, so it’s an influence. I wanted to find people who define themselves in relation to Dylan. As if he gave them the tools to recognize who they are. And art can do that. It can be a mirror but also some strange binoculars, enabling you to see beyond what you normally see. That’s what art is all about.

Comment avez-vous choisi vos personnages ?

Je suis d’abord allé au concert, sans aucun matériel. Je m’assurais simplement d’être dans les premiers rangs, ce qui n’est d’ailleurs pas facile . Certains personnes sont plantées devant les portes dès six heures du matin, alors que le concert ne commence pas avant neuf heures du soir. J’étais là-bas avec mon frère et nous commencions à parler aux gens. Les américains aiment bien s’adresser aux étrangers en général.

Et je tombe sur ce type, de l’âge de Dylan, qui a vécu toute sa vie et qui pourtant sent bien que quelque chose lui manque. Sauf qu’il ne sait pas quoi exactement. Je n’en revenais pas. C’était complètement inattendu. Parce que lorsque vous commencez un film sur les fans de Dylan, vous vous attendez à rencontrer le vieux hippy peace and love qui est là depuis le début, et vous tombez sur Stuart, précisément à l’opposé de cette image. Il a vraiment l’air de quelqu’un qui vient de sortir des ténèbres. Il a ce côté heureux, assez naïf presque. C’était parfait.

C’est vrai que parfois j’ai cherché un certain type de personnages. Par exemple, je voulais trouver quelqu’un qui se soit converti en même temps que Dylan, lorsqu’il est devenu chrétien. Et le plus drôle est que j’ai trouvé cette personne, qui s’était engagé dans la marine. Mais il ne fait plus partie du film maintenant. Ce type avait pourtant une histoire incroyable (...) mais elle faisait trop bizarre dans le film, et j’avais déjà celle de la femme avec la maison blanche.

I first went to concerts without anything at all. I made sure I was going to be in the front rows, which is difficult because some people wait there at the gates from six in the morning, when the show only starts at nine in the evening. I was there with my brother and we started talking to people, which was fairly easy as Americans often like to talk to foreigners.

I bumped into this guy, who is Dylan’s age. He has lived his whole life but somehow feels that something is missing, but he doesn’t know what. And I couldn’t believe it. It was totally unexpected . Because when you start a film about Dylan’s fans, you expect that peace and love hippie guy who has seen it all from the beginning, and you happen to fall on Stuart, who is the opposite image of that. He looks like he’s just seen the light. And he’s so happy about it, in a very naïve way. It was great.

It’s true that I was clearly looking for some characters. For instance, I wanted to find a person who had converted because of Dylan, at the time he became a Christian. And the funny thing is I found that person, someone from the navy, but he is now out of the final version. This guy had an incredible story, (...) but it sounded too bizarre when inserted in the film. And I already had the lady with the house.

Justement cette femme m’a immédiatement fait penser à ce personnage de femme complètement allumée dans Broken Flowers de Jarmush. Quelles ont été vos influences pour faire ce film ? A l’inverse qu’avez vous cherché à éviter ?

Immédiatement, c’est vrai ? Ah c’est génial (rires). En fait, je voulais éviter les clichés. Je voulais éviter tout ce qui touchait au biographique, donc cela ne m’intéressait pas de rencontrer quelqu’un qui connaissait Dylan, lui avait serré la main, ce genre de choses. (...) Je voulais rencontrer des gens normaux, écouter leur relation personnelle, intime à Dylan (...).

Je voulais faire le lien entre l’histoire de l’Amérique et la vie de Dylan. Donc sa conversion au christianisme avec le type de la marine, son engagement politique avec le professeur, la période où il écrivit le plus de chansons d’amour avec les deux filles, mais aussi l’Amérique d’aujourd’hui avec Rightwingbob, le 11 septembre et l’Irak avec le soldat.(...) Mais il y a aussi le Dylan des dix dernières années, Dylan le prophète, avec tout ce qui tourne autour de l’apocalypse, qui est très important pour beaucoup de gens. Et il faut faire très attention à ce thème parce que cela peut très vite tourner au kitch ou à la grosse blague, alors que c’est pris très au sérieux par beaucoup de personnes.

Immediately, oh yeah ? That’s great (laughing). Well, I wanted to avoid clichés, I wanted to avoid the biographical, so I didn’t want to have anyone who knew Dylan or had shaken hands with him or whatever. (...) I wanted to meet ordinary people, I wanted to hear their intimate relationship with Dylan. (...)

I wanted to make the connection between American history and Dylan’s life. So his conversion to Christianity with the navy guy, his political involvement in the sixties with the teacher, his love songs period with the two girls, and then America today with rightwingbob, 9/11 and Irak with the soldier. (...) There is also the Dylan of the last ten years, Dylan the prophet, with the apocalypse and all that, something that is there for many people. And you have to be very careful with this as it can easily turn into kitsch, or turn into a joke, which it is definitely not for many people.

Vous vouliez donc reprendre Dylan comme chef de file, maître à penser en quelque sorte ?

Oui. Parce que c’est aussi le rôle de l’art, d’avoir les antennes tendues, et de sentir ce qui est en train d’arriver. Mais encore une fois, il est impossible de mettre un nom la-dessus, parce que nommer cela reviendrait à le perdre. Et c’est avec ce phénomène que j’ai senti que mon film allait se placer dans cette lignée de films, de livres consacrés aux partisans, aux adeptes.

Dans la culture allemande, des auteurs comme Heinrich von Kleist, Goethe, mais aussi Lord Byron, tous eurent des disciples, des partisans, comme Jésus d’une certaine manière. Des gens qui les suivaient littéralement, là où ils allaient, mais aussi dans un sens plus spirituel. Mon film s’insère dans cette tradition du portrait des disciples, des partisans. Parce qu’on ne peut pas faire un film sur Jésus, on ne le connaît pas. On ne peut donc que s’appuyer sur ce qu’ont écrit ses disciples.

J’ai donc pensé que si c’était mon sujet, il me faudrait forcément un Judas. Et c’est alors que j’ai rencontré Rightwingbob [interprète de Dylan lui prêtant des opinions politiques de droite]. Car c’est lui qui, outre le fait qu’il était Judas à mon sens, mentionna explicitement Judas pour faire sa démonstration (rires). Là, c’était incroyable (rires). C’était vraiment énorme.

Yes, exactly. Because art has this function, like an antenna, of feeling that something is happening. But then again you cannot name it because the moment you name it, you lose it. So because of this phenomenon I thought my film would go into the realm of films or books that deal with followers, as in the German culture.

Heinrich von Kleist, Goethe, but also Lord Byron all had followers, just like Jesus in a way, people who literally moved along with them, and also in a more spiritual sense. And my film became part of that tradition of portraying followers. Because you can’t make a film on Jesus as we only know him through what his followers have written. So I thought if I’m going to deal with this, I’ll certainly need a Judas. And I couldn’t believe I found Rightwingbob who, apart from being the Judas, mentions Judas to make his point ! That (laughing) was really fantastic. (laughing) That was quite something !

Certains rôles, certaines parties du film auraient presque pu être écrites par un scénariste. Comment avez-vous joué sur ce rôle que prend la fiction à l’intérieur du documentaire ?

Quand vous faîtes un film divisé en chapitres, il faut que l’on puisse voir les différences entre les chapitres, ne serait-ce que pour pouvoir les mettre les uns à la suite des autres. Et je voulais que ce film soit un album, un album de musique, mais aussi un album photo, avec des instantanés d’Amérique. Les morceaux d’un album doivent être différents en terme d’atmosphère, de ton, de tempo, mais on doit aussi pouvoir les attribuer à un seul et même artiste.

Donc certains personnages apparaissent ici à la seule lumière de leur témoignage, face caméra, comme Stuart ou les filles. Il y a aussi le documentaire classique où j’essaie de suivre quelqu’un le long de la route. Mais aussi, vous avez raison, des éléments qui tiennent plus à la fiction, comme la femme de la maison. Et si cette partie ressemble à une fiction, c’est que l’histoire était si étrange que j’avais besoin d’un cadre particulier pour la raconter. Le travail de la caméra m’a permis cela. Par exemple le plan où elle regarde son mari tondre.

When you do a film consisting of chapters, you have to be able to see the differences between chapters, simply to add them up. And I wanted to consider that film as an album, a cd album but also a photo album, with snapshots of America. Songs have to be recognizable as coming from one and the same artist, but they have to be different in mood, in tempo and tone.

So some characters are like testimonies, right in front of the camera, like Stuart or the girls. There is also the classic documentary style when I move along the road with somebody. And there are also, you’re right, fictitious elements like the lady with the house, built like a fiction film in a way. Because this story was so bizarre that I needed a frame for it. And the frame should be through camera work. For instance the steady shots, when she watches her husband mow the lawn.

Et lorsque plus tard on retrouve la tondeuse en arrière plan de l’hôtel, c’est un des moments très drôles, très subtils du film. Vous l’avez complètement mis en scène ?

Plus ou moins. En réalité j’ai entendu ce bruit d’une tondeuse à gazon pendant que nous tournions la scène et j’ai compris qu’il faudrait l’avoir derrière la chambre d’hôtel. Je n’y aurais sans doute pas pensé moi-même. Mais lorsque j’ai entendu le son, je me suis dit Ooooh (rires).

More or less. I actually heard this mowing machine noise somewhere while shooting and I realized I had to get it there outside the hotel window. I wouldn’t have thought about it beforehand but when I heard it, I went Ooooh. (laughing)

Vous filmez toujours à une certaine distance de vos personnages. Est-ce une manière pour vous de respecter leur intimité, de laisser cette dernière affleurer par la parole, et non par une fausse proximité ?

Je n’aime pas les gros plans et la manière dont on les utilise en général. Je pense que c’est une manière très cheap de créer, non pas créer, mais simplement suggérer l’intimité. Je trouve que c’est une intrusion dans l’intimité de quelqu’un. C’est comme si l’on envahissait l’aura de quelqu’un, en un sens. Je suis donc très méfiant des gros plans (...) et c’est l’une des premières choses que je dis à un caméraman avec qui je m’apprête à travailler : voilà mon idée du gros plan [faisant le signe d’un plan moyen, ndlr].

Je ne pense pas qu’on puisse s’approcher d’une personne par un gros plan. Cela n’a pas de sens. Je pense qu’on commence à connaître une personne lorsqu’on la voit dans son environnement. C’est pourquoi Antonioni est intéressant pour les documentaristes, avec sa notion de subjectivité objective. Lorsqu’il filme les personnages de dos, on voit le personnage mais aussi ce qu’il ou elle est en train de voir. J’aime beaucoup cela.

I don’t like close-ups they way they are usually used. I think it’s a very cheap way of creating, well not creating but only suggesting intimacy. I very often take it as a breaking into somebody’s intimacy. It’s like invading somebody’s aura or something. I’m very careful with close-ups (...) and it’s the first thing I say to a cameraman I’m about to work with : this is my idea of a close-up [showing a medium frame, ndlr].

I simply don’t think you can enter a person by making a close-up. It’s a non-sense. I think you get to know a person if you’re able to show that person in his or her environment. That’s why Antonioni is interesting for documentary filmmakers, with his idea of objective subjectivity. When he shoots people from the back. We see the character and what he or she sees. I’m a great fan of that shot.

Vous l’utilisez d’ailleurs avec le personnage qui rend visite à son vieux prof retiré du monde.

Absolument. C’était d’ailleurs assez étrange parce que ce personnage était très timide. On est allé là-bas sur la base du cinéma direct. Je pensais que ce serait le premier chapitre du film, étant donné qu’il s’agit des premiers souvenirs du personnage de Dylan. Le coup de téléphone était réel, et c’est vrai qu’on est tombé sur le répondeur du vieux prof.

Donc on a décidé d’aller là-bas sans avoir pu le prévenir. Et s’il n’avait pas été là, nous n’aurions rien eu du tout. J’aime beaucoup cette partie du film parce que c’est quelque chose qu’on ne voit pas d’habitude au cinéma : quelqu’un n’ouvre pas la porte de chez lui tout simplement parce qu’il s’est endormi. J’aime vraiment cela, parce que le cinéma ne peut d’habitude pas se permettre de perdre du temps comme ça. Et le cinéma direct vous apporte ce genre de choses. Une simple rencontre au milieu de l’après-midi.

Absolutely. And it was strange because this teacher was very shy. We went for direct cinema there because I thought it was going to be at the beginning of the film as it is a memory of the early days. The telephone conversation at the beginning is real : there was an answering machine.

So we simply decided to go there, un-notified. If he hadn’t had been there, I wouldn’t have had him. And I like it very much because this is something you don’t usually see in films : somebody doesn’t open the door because he’s simply asleep. I liked it a lot, because you usually don’t have time for this in a film. And direct cinema can bring you to something like that. Just a meeting in an afternoon.

La religion est extrêmement présente tout au long du film.

L’Amérique est un pays très religieux. La religion est partout là-bas. Cela fait aussi partie de la révolution actuelle. Parce que l’Amérique est également un pays en crise. Et lorsqu’on traverse une période de crise, on a tendance à donner une place plus importante à la religion. Lorsque le film a été projeté à Amsterdam, c’est quelque chose qui a beaucoup gêné le public. Parce que cette image ne correspond pas à l’idée que les gens se font de l’Amérique. Mais c’est ainsi. En Amérique, la réalité est vue à travers le prisme de la religion.

Même si les gens ne l’explicitent pas toujours, la religion est toujours présente, en toile de fond. Il m’a fallu d’ailleurs batailler pour ne pas qu’elle ne soit trop visible dans le film. C’est aussi pourquoi le personnage du marin converti n’est maintenant plus dans le film. Et lorsque le dernier personnage du film fait référence au Guetteur de la bible, j’ai pensé que les européens pourraient faire le lien entre ce Guetteur de la bible, et la position similaire tenue par l’artiste dans notre société plus sécularisée.

C’est quelque chose d’important que je voulais dire et que dit cette femme. Parce que je savais que cette partie serait la dernière du film et donc que tout serait mis en scène. La lumière, le barbecue, les ballons. Je voulais ce côté Americana, où dans les Western, la dernière route finit toujours à l’océan. C’est le seul moment où vous avez tout le pays derrière vous. Je voulais vraiment que le paysage, dans cette dernière séquence, ait une valeur métaphorique.

America is an extremely religious country. It’s all about religion. That’s also part of that revolution that’s going on. Because America is also a country in crisis. And when you’re in crisis, you tend to be more religious. When the film was shown in Amsterdam, it’s something that irritated people. Because this image doesn’t correspond to their idea of America. Well there it is. Reality in America is seen through religion.

Even if people don’t mention it as such, religion is there, all the time, in the background. I actually worked hard not to have it too much inside the film. That’s why the navy guy who converted isn’t anymore in the film. And when the last character in the film refers to the Watchman in the Bible, I thought Europeans could make this connection : the Watchman from the bible, and the similar position held in our secular society by the artist.

That was something important I wanted to say and she said it. Because I always knew that this was going to be the last chapter, so the whole thing was staged of course. The light, the barbecue, the balloons. I wanted Americana, because in the Western the last road always ends at the ocean, that’s when the whole country is behind you. In this last scene, I really wanted to have a landscape with a metaphorical quality.

Comment avez-vous réagi aux Chronicles ?

J’ai lu les Chronicles pendant la préparation du film. Chronicles est un livre fabuleux. Une autobiographie rare, non seulement par sa structure, sa précision, mais surtout parce que c’est un livre d’une grande générosité, où les noms, les livres, les circonstances, les rencontres, les personnages, tout est cité. Ce qui fait qu’en les additionnant tous, on arrive à Dylan. Ce sont eux qui ont fait le phénomène Dylan.

J’ai beaucoup apprécié la part d’inattendu que le livre contient. Comme lorsqu’il se rappelle un moment de doute où il ne savait plus comment continuer son travail. Donc il entre dans un bar à 4 heures de l’après-midi, où un homme noir est en train de chanter. Sans doute pas un chanteur d’exception s’il jouait à 4 heures de l’après-midi. Mais bref, ce dont il se rend compte, c’est que cet homme chante sans effort, et qu’il se fait plaisir. Et cela lui indique la voie à suivre, sans effort, sans trop appuyer ses effets. Et Dylan écrit cela pour expliquer qui il est devenu. Cela me paraît extrêmement généreux.

Toute l’idée du livre tourne autour de l’effet produit. Tout cela constitue Dylan, les visages, les vies de ces gensordinaires.C’esten lisantlelivre que j’ai compris mon film,compris ce que j’essayais de faire. Le film était comme un miroir du livre en quelque sorte. Cela m’a conforté dans l’idée que le film pourrait voir le jour.

I read Chronicles when I was preparing my film. Chronicles is a fantastic book. It’s an autobiography like you’ve never read before. Not only because of the structure or because it’s so precise. But because it’s so generous, naming people, books, circumstances, meetings, characters. So that if you add them all up, they are Dylan. They made the phenomenon Dylan.

I especially appreciated the unexpected in it. Like when he remembers how bad he felt and didn’t know how to go on with what he was doing. So he gets into this bar at 4 in the afternoon, and he sees this black guy singing. Probably not too much of a good singer to play at 4 in the afternoon. But anyway what he sees is the man singing without effort, and having a good time. And that teaches him to do the same, without effort, without pushing too hard. And he writes about this to explain who he became. This is so generous.

The whole idea of that book is about the input. All of that is Dylan, the faces, the lives of normal people. So that’s how I understood my film and what I was doing, while reading the book. It was a mirror image of the book, in a way. It gave me the feeling that it could be real.

Et sur le No Direction Home de Scorcese ?

C’est de la télévision. Quelque chose d’extrêmement bien fait, mais plus de la télévision que du cinéma. Je veux dire, bien sûr que cela parle de Dylan, d’une période de sa vie, mais il n’y a que cela justement. Il ne va pas au-delà, il ne cherche pas à comprendre le phénomène Dylan. Bien sûr, en tant que fan, j’ai beaucoup apprécié. C’est assez rare de voir Dylan parler pendant une heure et demie (rires).

It’s television, a very well-made piece of work, but television still. I mean it’s about Dylan of course, a period in Dylan’s life, but it’s only that. It doesn’t go beyond that, it’s not about the phenomenon. So of course, I enjoyed it as a Dylan fan. It’s so unusual to see Dylan talk for one and a half hour, you know (laughing).

Quelle a été votre première rencontre avec Dylan ?

Ma première rencontre avec Dylan s’est faite en classe. C’est pourquoi la deuxième histoire du film est très proche de moi. Parce que cet homme qui a grandi dans le sud de la Georgie a mon âge, et que j’ai moi aussi grandi dans le sud ouest de la Hollande, dans une ferme. J’avais quatorze ans en 1974. Mais dans ce coin de Hollande, les années 60 avaient à peine commencé.

J’ai entendu A Hard Rain’s A-Gonna Fall en cours d’anglais. Nous étions supposés discuter des paroles mais je me souviens surtout de cette voix. Tout le monde ricanait d’écouter ce type qui ne savait manifestement pas chanter. Et moi je me disais que c’était la chose la plus merveilleuse que j’avais jamais entendue.

La même année, un couple de la ville est venu habiter près de notre ferme. Cette femme de 26 ans était extrêmement belle et moi, j’avais 14 ans (rires). Son mari n’était là que le week-end donc j’allais là-bas la semaine, sans doute complètement amoureux, et elle passait souvent des disques de Dylan. Cette association d’érotisme et de Dylan a véritablement ouvert mon petit monde (rires). J’avais emprunté Blonde on Blonde mais je n’avais qu’une minuscule platine qui lisait les disques trop lentement. Je me rappelle avoir mis Lady of the Lowlands qui dure 11 minutes, mais avec ma platine elle finissait par durer 15 minutes en tout (rires). Voilà le Dylan que j’ai connu à l’époque (rires).

My first encounter with Dylan was in a classroom. That’s why the second story in the film is very much about me. Because this guy who grew up in the south of Georgia is my age and I grew up in the south west of the Netherlands, in a farm. I was 14 in 1974. But in that area the 60s hadn’t really begun yet.

I heard A Hard Rain’s A-Gonna Fall in English class. We were supposed to talk about the lyrics but I remember the voice. Everyone was giggling because this man obviously couldn’t sing and I thought it was the most amazing thing I had ever heard.

The same year, a couple from the city came to live near our farm. The woman was 26 years old, extremely beautiful, and I was 14 (laughing). Her husband was only there at the week-end, so during the week I would go there, in love probably, and she would often play Dylan records. That combination of eroticism and Dylan really opened up my world (laughing). I borrowed Blonde on Blonde but I only had this tiny record player and it was too slow. I put Lady of the Lowlands, which lasts 11 minutes, right, but on mine it took 15 minutes, you know (laughing). So that’s the Dylan I got to know at that time, yeah.


Propos recueillis par Stéphane Mas


 

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