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Sean Penn - Interview !
Révolté nature





Sean Penn a parfois les matins difficiles. Rencontré à Rome, éprouvé par une nuit où le vin avait de son propre aveu coulé plus que de raison, le cinéaste parle d?Into the wild avec peu de mots et beaucoup de précaution. L?humanité et l?authenticité, principales qualités du film, reviennent en permanence sur ses lèvres. Mais qu?en est-il des reproches, du mysticisme appuyé, des envolées lyriques, de l?ambiguïté du propos face à Chris McCandless, dont le portrait de candide révolté devient aussi celui d?un martyre et d?un saint ?

La révolte est un thème de prédilection chez vous, comme d?ailleurs le rapport à la marge. Le fait de vouloir rester du côté des indépendants mais avec un film à gros budget doit être délicat à gérer, non ? Etes-vous malgré tout ça encore aujourd?hui un homme en colère ?

Au fur et à mesure des années, je suppose que l?entêtement a été mon plus grand atout. Mais Into the wild est un cas à part. Le tournage, en tout, s?est étalé sur une période de huit mois. Bill Polhad [premier producteur du film, ndlr] a été là dès les toutes premières étapes du montage financier et m?a manifesté un soutien constant du début à la fin. Ici peut-être plus qu?ailleurs, il s?agit d?abord de faire le bon choix, de savoir avec qui vous allez travailler, et d?avoir un peu de chance.

Ensuite, je pense qu?il y a des millions de raisons d?être révolté, non ? Il me semble que le mieux bien sûr, c?est de pouvoir se nourrir de cette révolte, de la transformer. En même temps, j?espère que ce n?est pas uniquement de la révolte, de la colère que naît la volonté d?être créatif. Je trouve qu?on peut parler en termes de volume. Au niveau politique, lorsque la stupidité devient trop forte, oui, cela m?amène en général à réagir, ça provoque une réponse de ma part.

Qu?est-ce qui vous rapproche intimement du personnage de Chris McCandless ? Le fait qu?il soit en révolte contre ses origines, une middle class aisée et confortable, ramène au centre d?Into the Wild la révolte adolescente et la fuite par le road movie, deux motifs chers au cinéma américain. Le mal vient-il pour vous de la soumission aux siens ?

Je suppose qu?en ce qui me concerne, l?expérience que j?ai vécue et qui se rapproche par certains côtés de ce qu?a traversé ou appris McCandless correspond à la période de ma vie passée près de l?océan, lorsque je surfais. Notamment tout ce qui concerne l?isolement, la solitude, même si en terme d?intensité, ce n?était évidemment pas la même chose.

Maintenant, Into the wild ne s?adresse pas directement ou uniquement à l?Amérique, aux jeunes Américains. L?idée qui me tient à cœur serait de faire partie d?une vague qui pourrait amener les jeunes à faire l?effort de sortir de chez eux, traverser les frontières, aller voir ailleurs ce qui se passe. Je trouve qu?il est vraiment nécessaire, et de manière proactive, de chercher à ne pas se fondre, se noyer dans ce que les uns ou les autres nous disent, nous apprennent. Je crois important de s?autoriser à faire ses propres choix pour découvrir qui on est véritablement. Cela me semble aussi un rite de passage essentiel, cette manière de repousser ses limites, pas au point extrême de ce que l?on voit dans le film bien sûr, mais par contre faire en sorte que notre cœur puisse battre un peu plus fort.

Comment vouliez-vous traiter la part de fuite qu?il y a dans la soif de liberté ?

J?avais en gros deux priorités pour ce film. La première c?était quelque chose de l?ordre de l?impératif, une sorte d?injonction à fuir. Fuir une certaine corruption, qu?il s?agisse du monde qui l?entoure, de la situation de sa famille, etc. Mais ce qui m?a davantage touché, ce n?est pas tant la fuite que la poursuite, la volonté d?aller au bout, de chercher un endroit qui ait du sens par rapport à lui, par rapport à sa quête, et à ce qu?il découvre sur lui-même au fur et à mesure. J?imagine qu?il y a une certaine célébration de la liberté dans cette quête.

La musique tient un rôle important dans Into the Wild. Comment avez-vous été amené à travailler avec Eddie Vedder ? Comment s?est faite votre rencontre avec Emile Hirsch ?

La musique est venue pendant que j?écrivais le scénario. J?ai assez rapidement pensé utiliser ses morceaux pour structurer le film, dans les transitions et pour quelques parties plus relâchées de la narration. Mais c?est vraiment pendant le tournage, en entendant la voix d?Eddie, son timbre si particulier, que je lui ai demandé si ça l?intéresserait de faire ces morceaux. Il a accepté avec beaucoup de générosité.

Quant à Emile, je l?avais remarqué dans un de ses précédents films et il y avait beaucoup de choses chez lui qui me plaisaient, son jeu, son physique aussi. J?ai donc passé pas mal de temps, des mois entiers avec lui, pour savoir s?il allait avoir suffisamment de volonté et de passion pour passer huit mois dans des conditions assez difficiles, réussir à sortir de lui-même pour être à la hauteur du rôle. Je sais maintenant que j?ai fait le meilleur choix.

Comment réagissez-vous lorsqu?on vous reproche de faire de McCandless une sorte de saint rebelle adolescent. Même si vous montrez son ambivalence, son égoïsme, la scène finale a quelque chose d?extrêmement religieux, non ?

Pour moi, l?idée était de représenter Chris McCandles tel qu?il était, c?est à dire d?abord un homme jeune. Il fallait maintenir une certaine authenticité, le montrer tel qu?on l?imaginait par rapport au livre de Jon [Krakauer, sur lequel le film est basé, ndlr]. Il ne s?agissait pas de tout justifier mais de rester fidèle à une certaine réalité. Cela voulait aussi dire montrer son côté immature, égoïste, inconscient. En même temps, il s?agissait de maintenir l?intégrité, la vérité des situations et du personnage. Son humanité, son courage, l?amour qu?il fait passer, tout ça signifie beaucoup. Mais ce sont aussi nos limites, nos faiblesses, nos défauts qui nous rendent humains, non ?

J?ai le sentiment de n?avoir fait absolument aucun effort pour éviter quoi que ce soit. Qu?on se place du côté de la sainteté, des défauts ou de ce que vous voulez. Ce qui me semblait le plus intéressant, c?était de laisser ce personnage être un peu tout ce que l?on peut vouloir devenir dans sa vie, et s?abandonner à cette idée, avec la folie, les défauts, les risques que cela implique. Mais au final, l?important est de ressentir ce fil rouge d?humanité, ressentir l?authenticité, la puissance de la nature.

Ce retour à la nature est de l?ordre de l?idéalisme. Est-il pour vous politique ? Que pensez-vous de cette vague très politique du cinéma américain récent ?

Je ne sais pas s?il s?agit de faire ou non des films politiques. Mais le fait est que les films qui comptent pour moi sont ceux qui expriment ce qui touche, ce qui bouleverse le réalisateur au moment où il les fait. Maintenant, vu l?époque dans laquelle nous vivons, cela me paraît naturel qu?il y ait de plus en plus de films politiques. Quant au désir, au besoin, à la nécessité d?un retour à la nature, je pense effectivement comme beaucoup d?autres personnes que c?est quelque chose qu?on ne devrait pas oublier, qui devrait faire partie de nos priorités.

Into the wild tient sur la famille un discours très juste, notamment sur le rejet de la famille naturelle, la constitution d?une famille d?adoption, la question du pardon, de l?égoïsme.

Par rapport au rejet, il me semble qu?il y a en nous un besoin, une tendance à vouloir nous détacher, nous débarrasser de cette sorte de conditionnement dont on est victime dès la naissance. En même temps, ce besoin ne peut pas être considéré comme une valeur si l?on ne fait pas l?effort, si l?on ne prend pas le temps de faire profiter aux autres ce que l?on a appris. Donc il s?agit de prendre conscience de cette solitude, de la reconnaître, d?en faire l?expérience, mais aussi de la dépasser pour permettre le partage de quelque chose.

Il se trouve que nous avons plutôt tendance, pour la plupart d?entre nous, à être plus tolérants, plus compréhensifs et à pardonner davantage dans ce type de situations à ceux qui ne nous sont pas proches. Mais je pense que le problème de fond est le fait que chacun, ado ou jeune adulte, doit être prêt à faire ce qui est nécessaire pour s?éloigner, se défaire de l?emprise de sa famille, se débarrasser d?une certaine forme de fausseté, pour arriver à se découvrir vraiment, accomplir sa propre éducation en quelque sorte, et pouvoir vivre, se sentir véritablement vivant. Je pense que chacun, à un moment donné, doit être amené à faire ça.

On a le sentiment qu?il y a dans ce film une sorte d?acte de foi. De quelle foi s?agit-il ? La foi en un certain cinéma, mais lequel ?

Je suis assez d?accord pour parler d?acte de foi. Cela dit, je ne travaille pas pour décrire quoi que ce soit de l?ordre du religieux. Il me semble que ce qui est important dans le religieux, c?est le fait d?en avoir ou non conscience, mais là c?est quelque chose de très personnel. Donc j?ai tendance à avoir une certaine foi, oui. Mais cette foi est là, ce n?est pas quelque chose que je poursuis, que je recherche.

L?aspect rétrospectif et rétroviseur du film est assez important. On a le sentiment entre les mythes fondateurs de l?Amérique, les années soixante, les seventies et la petite pointe sur Bush senior dans un poste frontière, que vous avez besoin de rappeler des choses, ne pas tout laisser perdre dans le grand bain du présent.

En ce qui concerne Bush senior, c?est vrai qu?il y a là quelque chose d?assez incroyable. Je me rappelle être allé à un concert de Springsteen et de l?entendre dire à son public américain : « Look at us, we?ve come a long way, and we?re going back. [1]. » Qu?ajouter à celà ?


Propos recueillis par Stéphane Mas

[1] « Regardez, on a bien avancé, on a fait un long bout de chemin, et on est en train de revenir en arrière »

Lire la critique d?Into the Wild.


 

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