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Brasileirinho - Mika Kaurismäki.
Música sofisticada e muito brasileira.





Alors quoi ? Bien sûr il y a Bruno e, CeU, Voltair et Cascabulho pour le brazil new style des métissages sonores contre l?indégommable MPB (Musique Populaire Brésilienne). Mais si l?envie vous prend d?aller chercher racines, impossible d?éviter le Trio Madeira, ambassadeur désormais planétaire du choro grâce au film de Kaurismaki. Une mise en scène aussi limpide et fluide que la musique qui l?habite, pour une vision naïve, hors du temps, de la musique comme caste heureuse.

Ne cherchez pas chez Maki Kaurismaki de belles she-male en pleine volupté. En lieu et place, la mère de Ronaldo qui s?improvise a capella un Carinhoso sur le perron de chez elle. Tout est en place. Le Choro, né au dix-neuvième d?une rencontre entre rythmes africains, mélodies européennes héritées des polkas et guitare à sept cordes, s?affirme d?abord par le cœur et les yeux fripons de tous les âges. Une musique populaire et juvénile dont Kaurismaki retranscrit par immersion tout le spectre de beauté.

Amateurs de clichés tropicalistes où plages de sable et palmiers s?étalent sous les couchers de soleil, passez votre chemin. Brasileirinho pourrait se définir à revers du Crossing the bridge de Fatih Akin. Deux regards vrais sur la musique mais diffèrent sur la méthode. Là où le cinéaste turc partait de la musique pour parcourir une ville, ses bruits, son énergie, sa vitalité cosmopolite, Kaurismäki choisit de poser sa caméra et d?écouter ses acteurs, musiciens-personnages amoureux du choro qu?ils vénèrent tranquillement sans même douter du monde. Des types formant une étrange caste, heureuse et solidaire, dont l?unique mission serait de placer la musique à l?unisson de l?enfance.

Personnages hors cliché tropicaliste.

Le film de Kaurismäki nous montre d?abord des personnages. Ronaldo do bandolim entre dans la musique à neuf ans par une fantaisie de chopin. Ces notes le tiennent longtemps puis le rendent moitié sourd. Alors qu?une de ses deux oreilles meurt, on lui place une mandoline dans les bras qu?il ne quittera désormais plus. Depuis, sans que l?on sache vraiment pourquoi, un rire vif lui découpe le visage la majeur partie du temps.

Yamandu Costa s?avance et part de loin. Son père, sa famille entière née sur un air de choro, Yamandu néglige sa dégaine de et ferme souvent les yeux. A le voir, on s?imagine un révolutionnaire genre Danton ou Marat, buveur d?absinthe de plusieurs siècles passé. Sans doute est-il un peu des trois. Malgré son rire d?ogre et ses doigts boudinés, Yamandu passe la grâce, il la suit, l?emmène, en dispose à son aise.

Paulo Moura, le visage d?un enfant à plus de soixante dix ans, parle de sa clarinette acrylique et transparente comme d?une femme sur laquelle il souffle depuis des lustres. Passant ses journées entière sous le Nighthawk de Hopper, il saute et trépigne d?impatience, fripon joueur qui joue du sax comme de la clarinette et de la clarinette comme du sax.

Mais il n?y a pas que les musiques. Lorsque Elza Soares chante, le mur noir de ses propres origines remonte d?emblée l?océan pour faire vibrer les têtes. Remisant les déhanchement de Lilian Vieira de Zuco 103 au kindergarten local, coupe afro et visage passé plusieurs fois sous le Cresmaster Cycle de Mathew Barney, Elza réhausse encore ses semelles compensées seventies pour dire comme chanter nourrit la vie.

La lumière du Brésil.

Tout au long de ces portraits, défilent des lieux de vies anonymes ou personnels - chez soi, au bar, dans un vieux guitar shop de Rio, mais c?est surtout l?atmosphère laid-back qui enrobe les personnages, les murs blancs de la ville, son tramway, ses maisons coloniales. Une antithèse à La cité de Dieu qui ne croule pas pour autant sous la naphtaline. Un brésil à part, isolé par ce naturalisme paisible tenant ces musiciens ensemble, que filme Kaurismaki avec une aisance du regard, une lumière rappelant le travail plastique de Margarida Cardoso sur A costa dos Murmurios (Le rivage des murmures).

Jacob do Bandolim portera presque à lui seul avec Pixinguinha l?essor du choro jusqu?à sa mort à la fin des années soixante. Après viendront Villa Lobos et Tom Jobim, génies de la bossa sous influences, qui chacun développeront un aspect de cet différent arbre aux longues racines.

Tradition oblige, le 23 Avril de chaque année, nos joyeux sbires embarquent à bord de la Barca de Choro pour rendre hommage à Pixinguinha. Le pont couvert de corps entassés, presque tous un instrument dans les mains, chacun le rire et l?oreille dressés pour tirer sa note au bon moment. Une manière d?être ensemble, de vivre la musique comme un don, avec une naïveté, une fraîcheur incroyables.

Où l?on voit comment toute la jeunesse de Cordeiro fait chaque samedi quatre heure de voyage en bus pour retrouver ses mentors et idoles dans une casa blanca du centre de Rio. Des gosses tous liés de près ou de loin à une fanfare locale et qui partent recevoir l?héritage. En guise de conservatoire, des salles, des halls, des pelouses ouvertes pour un gigantesque bœuf où les tableaux noirs s?avèrent inutiles. Ni cahier, ni craie, ni portée, tout se dessine à l?oreille, à la parole, aux notes qui fusent de partout. Un trait qui revient d?un bout à l?autre du film. Le choro, s?il est traditionnel, n?est jamais chasse gardée, relique poussiéreuse gardée par de grands sages. C?est au contraire par l?alcool, le rire et la fête, ou comme le montre le film en plein concert, que les anciens passent leur flambeau le rire et la main sur l?épaule.

Grâce et fluidité.

Kaurismäki renouvelle le genre quelque peu figé du concert filmé en s?improvisant réalisateur rétro-naturaliste de clip. Tandis qu?il filme un soir Yamandu dans un théâtre rempli à craquer, le public, naturel comme à la maison, se met soudain à chanter d?une seule voix, tandis que l?artisan bouffi continue de gratter sa corde. Hop, dans la boîte. Une nuit, Kaurismaki convoque danseurs virtuoses et figurants sur une place pour un spectacle (ultra) scénarisé, et la magie de Sissi l?impératrice opère, balayant tout pour ne laisser que du plaisir face à ce que l?on voit et entend.

Ailleurs, certains plans rappelent The Strip de L.Kardo ou Bird d?Eastwood, avec la grâce d?une caméra qui longe la façade d?un immeuble et regarde par dessus l?enseigne lumineuse d?un bouge les trottoirs toujours luisants. Une rigueur classique dans l?éclairage et la composition des plans, les mouvements de steadycam, la présence des corps dans le cadre, faisant de ce Brasilheiro un très beau moment de cinéma.

Un film qui passe des oreilles et des corps aux sourires, où l?on append que la samba, très machiste à la base, trouve dans le choro tout son contraire. On parle ici d?oiseaux des champs, d?amour et même de tendresse, oui bonne dame. Un univers où le surréalisme traîne pourtant bien son œil andalou, avec des compositeurs aux noms magiques - Ernesto Nazareth, Clementina de Jesus, et qui porte bien, quoiqu?on en dise, cette sorte de bonheur innocent à jouer dont le Trio Madeira rend sur scène toute la magie.


Stéphane Mas