Art | Bien profond | Ciné | Livres | Musik | Liens



Devendra Banhart & The Hairy Fairy live !
Honky Tonk Gang.





Un concert de la troupe à Banhart part souvent pile ou face. Alerte, enjoué, triste, absent, rouge du vin qu?il boit en soif ou blanc comme un drap, c?est toujours la surprise, l?inconstance, comme ses dessins de liners qui tourbillonnent et finissent par donner une figure, pile ou face, barbe, œil ou moustache. Ce soir-là, demi-teinte, Banhart porte la tête horloge. Machine arrière pour prise d?apesanteur : un merveilleux voyage dans l?americana.

Une famille tissée sur les routes, ses bords, ses coutures. Sous ses accessoires fétiches d?Huggy-les-bons-tuyaux - tee-shirt moulé, chapeau à plume, sandales flower power etc, le frêle apôtre folk Devendra tient ses acolytes au chevet dans un petit navire bleu leur servant tout à la fois de couchette, de train et de local à notes.

Ils sont cinq à la scène comme sur leur très beau nouvel album Cripple Crow. The Hairy Fairy. Un nom de groupe revendiqué pleinement, où se mêlent féerie, enfance chevelue, innocence trouble et imaginaire. Trois guitares, un bassiste, un batteur ; lequel porte au cou une petite pochette bleue. Longtemps, on se demandera quelle amulette sacrée, quel stupéfiant, quel gri-gri magique Otti Hauser y cache, en vain. Il aura beau secouer la tête de droite à gauche, s?asseoir par terre pour jongler sur ses maracas, rien. Pas une plume, pas une lettre, rien sinon le rythme, souvent en défaut sur les disques précédents, qui fait ici merveille.

Human Yankee Juke-Box - Part One.

Une troupe au cœur de l?americana, la vraie, qui porte autant la simplicité de ses ballades ou la décontraction bluegrass que la soul déhanchée de petits blancs jaloux par toute la sève noire du Sud. On voyage ainsi d?un bord à l?autre de ce très spécial American Music Club, glanant ça et là des accroches, des refrains, des harmonies d?un héritage fascinant d?abord par sa diversité mais surtout par le naturel, la nonchalance avec lesquels tout cela est rendu.

Artisans magiciens qui déforment des originaux parois médiocres (The Good Road) en véritables petits joyaux, Banhart & The Hairy Fairy flottent ou s?enivrent au fil des années et des genres, alternant compos et reprises au sein d?un gigantesque juke-box yankee - Captain Beefhart, Crosby, Still & Nash, voire même Spirit, le tout pour un son, un feeling intacts, tout de grâce.

Comment fait-il, à vivre une guitare et sa voix sous la peau ? Rien à faire. Ces cinq là sont en phase, une osmose en plein œuf, sereine, confiante jusqu?à lancer l?invitation. Deux trois chansons dans une poche, Don?t hesitate, that?s what we?re here for, just have some fun, you know. Cela s?appelle un bœuf, et dommage, personne n?osera ce soir. La faute au trop d?admiration, trop d?envie sur les visages.

Cette façon d?être un peu partout et nulle part à la fois, ailleurs, passant du coq à l?âne, qu?on se demande un peu ce qu?il cache sous sa peau, sous sa gorge et ses doigts. Banhart, capable sur ses précédent disques du meilleur comme d?un peu moins, n?aura fait preuve sur scène que du meilleur, un set tout entier sur la ligne de ce nouveau Cripple Crow.

Adieu gimmicks, grimaces, chèvre vocale et consorts, Banhart s?ouvre et se dandine, il appuie sur les rythmes, menant sa troupe en danse comme un Miles blanc du folk. Une sorte de petit génie à ne pas simplement jouer mais être, incarner sa musique. Mi honky tonk, mi hobo caché derrière ses boucles, Banhart revendique sa part d?enfance et de plaisir - I feel Like a Child. L?air de rien, baptisant son public d?un coup de maracas, il offre un concert suspendu, véritable bonheur à se promener sur les plus belles caves de folk rouge.


Stéphane Mas