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Mugison live !
Clown terroriste anti-zen.





Artisan mugisseur bousculant les oreilles trop lisses, Mugison sur scène comme à cheval ne ressemble qu’à lui même. Armé d’un laptop et d’une guitare, l’islandais parti réconcilier l’électronique, Elvis et la théorie du cri primaire jette sous fournaise son intérieur de glace. Impressionnant.

Bûcheron de grands volcans, voilà ce qu’on pourrait dire. Car il taille à la hache, Mugison, il taille sans prendre garde. Précipité sur son laptop, le type envoie d’un clic l’univers en purée. A peine trois minutes de boucles stridentes qu’il accompagne de cris sauvages, torturés. D’habitude, on appelle ça une introduction. Ah, it’s good to clear out the demons, lance-t-il en guise de salut.

Armoire vêtue d’une chemise blanche, seul en scène, une petite feuille à la main pour déchiffrer quelques mots de phonétique en français, le bonhomme a l’air d’un gentil gentil nounours, bien qu’un peu inquiétant - une sorte de rage sourde, prête à lâcher.

Elvis électronique, version autiste.

Il faut dire qu’après s’être essayé à la marine sur le pont des navires puis en usines à poissons, Mugison fut coursier, puis clown pour enfants malades. Ce qu’il a reçu des autres, il le rend au centuple : une musique brute et sans apprêts, recelant quelques perles pour oreilles audacieuses.

D’un côté son laptop, et de l’autre sa guitare, ficelée comme le king par une corde à l’épaule. D’où il ressort une cohabitation inédite entre un cœur de palmier pris d’ultra-romantisme contre l’intransigeance d’un autiste aux machines.

Sur sa vieille guitare qu’il saigne en héritier d’Howling Wolf, l’islandais tire des accord sursaturés, et ses notes, leur énergie sans atours, rappellent tout un pan des blues du delta, comme une longue liste de morts-vivants ressurgis on ne sait comment près d’un volcan et d’un champs de neige. C’est bien là bas que le barde monte sa bête. A l’électronique aussi, il s’agit des racines, des premiers temps - des gouttes provenant de caves, des sons d’objets, des cris d’oiseaux, distordus, amplifiés jusqu’à s’en faire, plus qu’un rythme, une suite de sons en crue.

Maître Waits en attente.

Comment dès lors en évoquant grottes, guitares et cris, ne pas penser Tom Waits ? Au chant parfois frontière de l’aboiement, on se dit qu’il y a bien du cavalier sans tête dans ce trublion là, mais aussi du talent, beaucoup de talent lorsqu’il remplace les os du maître par sa chair. Car Mugison monte en scène comme pour une performance. Il se montre, il se donne, se révèle tout à vif. Pour certains ce n’est que fureur creuse, outrance et déballage sonore, pour d’autres un véritable défi, un écrin sale pour quelques magnifiques ballades.

Le ton était donné d’entrée, voire même au pied de la lettre : mugissons tous ensemble, s’écria Mugison. Une premiere boucle en cœur invitant le public à rugir aussi fort que possible Putain de merde, avant de jouer sur sa boucle comme un gosse pour faire revenir ce refrain, grâce au delay, autant de fois que possible dans le morceau suivant.

Détournement, déconstruction, humour. Trois balises revenant tout le long d’un disque hybride que la scène pousse encore un relais plus loin. Mugison finit même par prévenir. Don’t be scared by this song, please - I’m a human being, I just sweat a lot. C’est qu’il va loin dans l’extrême - juste une guitare, un laptop et ce besoin de dire, d’exprimer tout ce qu’il garde au dedans.

Les jours normaux de concert, peut-être finit-il par tomber, rompu par sa transe. Ce soir, pour apaiser les foules, il invite sa compagne. Et là, l’espace de quelques minutes, leur comptine amoureuse tirerait des larmes à toute la descendance de Condoleesa Rice.

Derrière la hache, un cœur. Avec ses mots simples, ses accords avec plus d’électricité qu’en sortie de centrale, son électronique caverneuse, il est probable que Mugison revienne de loin. Ce qui est sûr, c’est qu’il se tient aux sources. Entre Elvis et Tom Waits, au dessus d’un gouffre à pic, il noue ses planches tordues, et place un pied, une gorge, une main l’une devant l’autre - une route atypique à surveiller de près.


Stéphane Mas