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Las Ondas Marteles - Y Despues de todo + live !
Algo digno de admirar.





On attendait le trio dans un lieu minuscule, caveau sous voûte de pierres et fumée, pour faire résonner l’âme cubaine de Miguel Angel Ruiz, et cet album magnifique Y Despues de Todo. Juste là, trois corps pour un hommage, et quelques ombres autour. Un coup dans l’eau. C’est bien avant la nuit, dans l’immense grange trois fois vide, que Las Ondas Marteles apparait en ligne, groupés comme un peloton. Qui tient la mise en joue ? Qui sera mort ce soir ?

Pari donc un peu gonflé que de vouloir comme ça, via Paris et Madrid, faire croire au son cubain . Quoi ? Une guitare, une contrebasse, et quelques jouets d’enfants en guise de percussions, cela semble un peu court. Deux frères autour d’une femme, elle même une contrebasse en jambes. L’un corseté de noir, habillé pour une veille, l’autre comme à la ville, avec entre les deux ce petit bout madrilène et ses longs cheveux noirs. On nous avait fait croire qu’il fallait de gros cuivres, des chœurs d’hommes aux yeux rouges, autant de rhum que de percussions, un soleil de cigares, une étoile rouge autour. On avait tort.

Sin saber que buscas, sin saber quien eres, puedes amar.

C’est tout doucement qu’ils commencent. Une ligne de contrebasse, un pas de guitare, une main levée pour le départ du chant, et la musique en place. L’équilibre est donné, tout à juste mesure. Nul besoin de forcer, de se tordre le cou, de se ruer par terre. S’il s’agit bien d’amour, alors c’est au plus simple. Danzôn, tango, boléro, autant dire qu’il n’y aura que cela, de l’amour, tendu par les mots, les notes et les corps interprètes. Sans effet pompier, même si tout est joué, mis en scène au théâtre.

Disons là quelques mots. Vu du public, c’est surtout l’homme de gauche qui tient la voix du chant. Il se trouve que le zouave est aussi comédien : lorsqu’on lui ôte les jambes, à peu près immobile, il lui reste le buste, le visage et les bras, il lui reste cela, et sa voix, pour nous faire ressentir.

C’est peut-être ce qui justement nous touche : une musique qui s’ouvre, se referme, qui respire et voyage, à la manière d’un corps, un être à part entière. Par sa langue, son tempo, ses incises, ses courbes aussi, le boléro tient l’équilibre fragile entre tension et relâchement, mouvement et point d’arrêt. Une musique tendue vers l’autre, et qui, comme en amour, se voyant essuyer un refus, part à nouveau sur son propre chemin.

Las Ondas Marteles, par leur mise en scène minimale, donnent vie à ces allers et retours, ce mouvement de l’un vers l’autre, et qu’il s’agisse des voix, des notes, du sentiment, on les suit de passion, les corps secs en plein noir, l’oreille et les hanches dressées.

Rima caribena, néctar de candor.

Difficile pourtant de mettre l’intime en scène. L’intime, mais aussi le cinéma, imprégnant tout le disque -l’irruption de la voix de Ruiz sur Te Imagino, sa conversation saisie sur un banc de Lawton avec Que quieres que te diga. Cette manière de rendre palpable, au travers de la voix, des sons de rues à l’arrière plan, d’une guitare vagabonde, comme un instantané d’el parque Reyes municipio. De la langueur des flûtes (Cum, Nuestra noble Habana) aux parties de désert brûlé d’une Telecaster jouant du Moriconne à la Havanne (El Amanecer), le disque s’évapore au soleil.

Et que dire des escaliers de cordes, des rythmes de Te Quiero Conocer ou Et après tout qui sont presque autant à la musique cubaine qu’au cinéma, son vampire depuis loin. Comparez donc la bande originale d’In the mood for love aux boléros d’Y despues de todo : on y trouve la même sensualité, la même tension des corps, mais bien plus l’humour, et l’animalité - la longue insuline d’A Mi Traviesa Pequena, la lente fièvre africaine des percussions d’Alondra perdidai, les chœurs de Mi Suegra Venerdanda, tout ici rappelle, derrière l’invitation, l’amorce d’une danse possible, que Miguel Angel Ruiz était afro-cubain.

Théâtre serré de musique : Siempre de muy buena gana.

Sur scène aussi, mais d’une manière encore plus fine, plus intime que sur disque, la danse est presque possible. Mouvement des mots, de la langue très belle de Miguel Angel Luiz, mouvement du visage, de l’expression peinte sur Nicolas Martel, mouvement des lignes et des cordes des instruments de son frère Sébastien et de Sarah, cette sobriété du théâtre serré, de l’intime, qui transforme le concert en véritable représentation.

Nul étonnement si l’on retrouve alors des passerelles, des échos de Lhassa dans le chant, cette manière de nouer un drame en quelques gestes, cet abandon au dépit qui finit par être une force. A tout cela, Las Ondas Marteles ajoutent un peu d’humour en traduisant l’accent biseau les phrases très belles de Luiz, mais aussi l’émotion, lorsque ils laissent entendre, via un magnétophone, la voix de leur ami disparu.

Une histoire de voyages, une histoires de rencontres : celle de deux frères avec entre eux une culture, l’amitié d’un poète, celle d’une contrebassiste. Le pari tient sa route. Sur cette constellation d’ondes de la famille Martel, Paris rencontre bien Madrid, Mexico La havane et le quidam un groupe, une musique, une langue faites pour des retrouvailles de fins de nuits, de petits bouts d’histoires où tous se retrouvent masques bas, le désir bien en face. A Sédières, la salle trois fois vide se remplit vite, se resserre, les plus lourds font silence, le souffle suspendu - un théâtre de musique simplement fabuleux.


Stéphane Mas