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Bloc Party - Silent Alarm
Positive tension





L’attente en valait la peine : un rock acéré qui déboule entre mâchoires avec une fraîcheur juvénile et des mots pour ravitailler les jours bleus. Bouffée d’hélicoptères dans un ciel surchargé d’ozone, Bloc party sonne l’alarme.

C’est bien l’ouverture en basse doublée d’une batterie métronome, sèche, puissante. Stop being so Laissez-faire chante Kele Okereke. Derrière la rythmique plus qu’incisive, l’ossature bien droite des morceaux, leurs refrains pop, très pop , si pop et là sans faille, c’est bien la voix lumineuse du chanteur d’origine nigériane qui sert de liant, de conducteur à vif pour mettre tout ce beau monde d’accord. Lorsqu’il remue, qu’il s’étire, entraînant tous les autres à sa suite, c’est une moisson fraîche de poison, de maison froide, de murs et de meubles sur lesquels on marche. Il faut mettre en bascule.

Bloc Party n’est pas un groupe anglais pour rien. Les traces mêlées de valentins sanglants pris au traquenard d’un nouvel ordre sont longues à effacer, sur une pente raide ou s’agrippent encore quatre valeureux scarabées : la mélodie, loin d’être une concession, s’affirme comme un devoir. Et d’y mettre des mots qui ne soient pas vides, des mots pleins, cela aussi nous rassemble à faire bloc autour de ces quatre là. Sans paillettes, sans poses, sans flash au crépitement. Mais qu’y a-t-il alors ?

Il n’y a qu’à prendre le nom. Il s’agit bien du parti-pris d’un bloc, parti d’en prendre à cette grande fête d’immeuble, en bloc et loin des nostalgiques de dentelles, pour qui ce disque n’est pas, ou plutôt si : il est pour tous puisqu’il est politique. Are you hoping for a miracle ? It’s not enough. Voilà pour clore Helicopter la devise d’un quatuor poupon et rebelle (moyenne d’âge 25 ans) dont le ravissement sonique est à consommer sans fin, à grandes lampées d’un rock tranchant pour engager les corps autant que les jeunes têtes.

Du rock sous le dance floor.

Loin , très loin du dégoût, du rejet, Bloc Party lave très propre. L’étiquette un peu tendance de punks du futur qu’on leur prête parfois leur colle très mal au ventre : leur son clair est vendeur, à des années de la sècheresse crade de pistolets sexuels. Plutôt la version sage et positive de leurs cousins outre atlantique Liars, et presque trop gentils. Pourtant, le rythme est vif, tendu sur la reprise des lignes de basse en basse-cour de kangourous, et le verre pas qu’en bouche. On parlera Buzzcock à l’énergie, Cure pour la voix de Kele Okereke rappelant le Smith des débuts, New Order pour l’effluve eighties sur quelques titres, mais le reste n’est qu’à eux. L’électronique pour le portail d’entrée/sortie de chaque piste, tant le duo rythmique Matt Tong / Gordon Moakes s’entend à placer ses accroches, les tisser par échos de façades métalliques sur des chœurs simples, dévastateurs. Deux adjectifs résumant - outre l’album - toute la deuxième partie de Positive Tension, enlevé par un riff post-Nirvana à vous faire tournoyer des tortues Galapagos sur n’importe quel dance floor terrestre.

Une fraîcheur. Qu’on parle de dance et vienne l’un des premiers singles du groupe Banquet, dans un hommage aux eighties semblable à ceux des Ferdinands, Interpol et consorts, bien qu’à l’inverse de ces derniers, Bloc Party ingère, absorbe, digère l’austère héritage, ne s’y accrochant jamais comme à un lustre dont les éclats froids pourraient réchauffer l’entrée de siècle. Et si le même eighties spirit frappe encore dans la voix en sous pente de She’s hearing voices, dans sa batterie chiffon, son marteau bien indus, c’est bien à aujourd’hui, plutôt même à demain, que le disque s’adresse.

L’extrême vitalité dont Silent alarm est témoin passe enfin par les mots. S’il n’y a rien au local du Blairisme et de la mère patrie, Bloc Party bombarde les pétrolifères texans, l’atavisme pathétique des Bush, leur collision pleine de morts avec pour seule alternative l’injonction d’être là, et se tenir debout. Et si le groupe se démarque rapidement du protest song un peu convenu sur l’Irak, c’est en renvoyant les balles dans son propre camp, à charge d’une génération dont le consumérisme s’épuise à l’ennui. Appel à vouloir plus, à changer la marche, le tournoiement des pales, la bouche pleine de verre, et les yeux dit-il We’ve got crosses on our eyes, Been Walking into the walls again. Kele Okereke chante le corps tendu vers ce texte qu’il martèle en slogan, prouvant bien du même coup le politique à l’œuvre - comme c’est tant mieux !

Go stick your bloody head in the jaws of the beast !

D’urgence à reprendre par les toms et la voix qu’il ne faut rien laisser, que la sangle tire mais qu’il faut battre le fer, les nôtres, le monde, s’y frotter bien à vif, tirer la barre à soi pour fomenter révolte. Bloc pousse à l’engagement et parvient au travers de ses petites bombes soniques à susciter l’enthousiasme qu’ils appellent de leurs voeux. Ce n’est donc pas un hasard s’il y a du militaire aux brodequins serrés dans l’intro et le final de Price of Gas. Malgré la franche ossature dance du morceau, les mots parlent tranchées, drapeaux, armes, corps et voitures, pour une fin pleine d’espoir : We’re going to win this.

Même lorsque le tout s’adoucit, que le vide place des boucles où l’intime et le doute apparaissent, les trois morceaux lents de Silent Alarm finissent toujours par tisser une plus ou moins rapide montée du tempo et finir sur un rythme large, gonflé de vie.

Le reste n’est qu’à cogner derrière l’incroyable tonique de Matt Tong et se refaire des crashs en plein murs. Parlons donc de Luno, son début digne de Vice city pour une sanglante odyssée urbaine, son refrain pour éloge du frontal par tout temps, toutes conditions.

S’agirait-il simplement pour Bloc Party de tuer ou d’être tué ? Binaire, adolescent, simpliste ? Disons qu’il est somme toute jouissif, dans un songwriting pop punk rock aussi soigné, de trouver presque ce qu’au hip hop on accole l’adjectif conscious. Car si l’album entier est placé sous le signe d’une alarme pas si silencieuse que cela, Pioneers, Compliments, Plans désignent par explicite la cible des jeunes foules contemporaines noyées sous lithium, adeptes de crash-canapés et autres plans cotonneux dont le ventre mou semble réveiller l’appétit vampire de nos quatre larrons. Fraîcheur sans pose, candeur aiguisée prête à monter au front pour nous sortir de torpeur, le souffle que précisément l’on attendait pour se ruer dehors et se placer à contre de ceux qui voudraient toujours nous faire dire oui.


Stéphane Mas