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La casa de mi abuela (La maison de ma grand-mère) - Adan Aliaga
Habla con ella, Mami nova





Qu’est-ce qui, à une lettre près, distingue Marina de Marita ? L’une est grand-mère, l’autre petite fille. Deux silhouettes paradoxales comme la relation qu’elles partagent, et que reflète ce petit bijoux de documentaire vif et poivré. Portrait inédit de l’Espagne par la lorgnette intimiste d’une septuagénaire minée de fatigue et d’une gamine ingénue, le film d’Adan Aliaga ouvrait avec délice la 12ème Biennale du Cinéma Espagnol d’Annecy.

Des dessins à la craie sur un mur. L’herbe d’un pré sec, près d’une gare et d’une usine, puis une vieille femme qui se lève de son lit, filmée de près, entre gaine, culotte et porte-monnaie. Quelques secondes suffisent à expédier l’histoire de sa vie. C’est donc moins le passé que les sédiments qu’il laisse au présent que filme Adan Aliaga -beaucoup de pelles, de balayettes, de linges et de cendres parsèment le film. Le tout mêlé par un cadre très serré - un fil à pinces à linge, une mouche sur une feuille, une ampoule prête à rendre l’âme.

Au bonheur des teignes. Vieille au repos contre puce électrique.

Car il est bien question d’âme, de vie, d’une chair en train de sécher. Marina, 6 ans, s’installe un temps chez sa grand-mère. Elle rêve d’un cheval blanc, joue en culotte dans la rue, le torse à moitié nu couvert d’une cape de super-héros blanche. Sans peur et sans reproche, elle apprend à se signer, puis flingue la messe de sa grand-mère en siphonnant son gobelet d’une paille.

Ses écharpes blanches sont en papier toilette. Marina grimace, elle se tortille, se joue de quatre cent coup tandis qu’autour les rats passent et fourmillent. Elle dévale les allées du cimetière, joue à cache-cache entre les tombes. Un portrait aérien d’une adorable petite teigne, qui malgré son regard frondeur n’empêche pas tout à fait la mort de roder alentour.

Tu as un âne mort dans le ventre, dit la grand-mère. Démarche lourde et main leste, Marita avance lentement dans les couloirs de chez elle. Elle ramasse à la pelle le plâtre de cette maison construite jadis par son mari et décédé depuis. Adan Aliaga filme la prise du temps, la vie d’une vieille au quotidien : sortir un fauteuil sur le trottoir, se tailler une bavette au venin avec d’autres vierges du quartier, avant de s’effondrer sous chaleur dans un fauteuil, les jambes gonflées d’eau. Les émissions débiles succèdent aux messes télévisées dans une solitude blanche, montrée telle quelle, sans apprêts.

Télé en neige sous trop forte chaleur.

Chacun ses drames. Je préfère ne pas manger que de ne pas avoir de télé, peste-t-elle contre son fils. Une télévision qui s’effrite, se décompose en neige. Quand bien même noir et blanc, l’écran reste ouvert pour la fête. Marita fête donc avec quatre copines son anniversaire avec de la neige plein l’écran, s’offrant même le champagne autour d’une refonte du concile du Vatican. Quelques plans bien sentis entre la gaine, le ventre et les crucifix, pour peindre une Espagne bigote, paillarde et franche de coudes. Car si partout résonne la lente défaite du corps face au temps, le film est vif, déambulatoire, collé aux corps, à la lumière.

Une tête d’ail pour la tête, deux bouteilles de lait pour les seins, une éponge pour le sexe. Le corps défini ainsi par Marita correspond en plein à ce que filme Adan Aliaga. Cette adéquation entre le cinéaste et son sujet n’est d’ailleurs pas sans raison. Marita est sa propre grand-mère, Marina une de ses cousines. Sa caméra, jamais intruse ou voyeuse, est donc d’autant plus libre. Très proche des visages, des objets, elle rentre à l’intime d’une vie morne que renverse une enfant, et virevolte entre ces deux âges, ces deux vies, avec la même passion.

La vie comme elle vient - petit drame, pleine lumière.

Le film pour autant tient solidement sa structure. Au centre, un petit drame intime, de ceux qui vous renversent un ancêtre - après avoir passé 52 ans dans sa maison, Marita doit laisser place à une nouvelle construction qui s’apprête à voir le jour. Sa fille la convainc de vendre. En attendant la maison neuve dans laquelle elle vivra bientôt, Marita déménage et s’installe chez son fils.

Echange de rôles en bon et due forme, c’est au tour de Marita de se fondre à l’univers de sa petite fille, et fête d’anniversaire, école, musique et danse font alors écho aux séances de pédicure, aux discussions de rue, aux messes de la grand-mère au début.

Cette maison de grand-mère est une petite Espagne. Sans prétention, Adan Aliaga signe avec grâce un double portrait de l’Espagne passée puis actuelle, enregistrant le passage, la transition de l’une à l’autre par ses deux personnages attachants. Une construction soignée, un montage vif et lumineux, les qualités sont là. Seul bémol, cet excès d’amour et de vie, menant son film tout prêt de déborder. Un clochard trop illustratif, des ralentis trop nombreux. On hésite pourtant presque à se plaindre de trop plein, tant l’équilibre entre fraîcheur et gravité donne au film son parfum généreux. Quelque chose comme un goût d’épices, de naphtaline et de fraises.


Stéphane Mas