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Spoon live !
Gimme Friction





Remisez les stetsons et les winchesters, Spoon brûle les quatre coins de la scène avec pour seules armes piano, guitares et batterie. Sur les planches, les Texans vont à la mine pour mieux faire briller des compositions pop-rock dont l’aplomb et la douce furie s’imposent comme autant de diamants bruts dérobés au plus grand nombre.

Réseau Echelon pris en défaut

Il fallait être aux aguets cette semaine-là pour ne pas rater le coche Spoon. Les Texans se lançaient quasi incognito dans une date française que peu de médias, y compris les porte-parole officiels ou officieux, ont relayé. A l’ombre des soubresauts de la nouvelle vague rock, Britt Daniel et ses hommes de main construisent patiemment un parcours atypique et parfois chaotique fait de ruptures de contrats avec les majors, d’une évolution musicale quasi permanente depuis les débuts punk rock, et d’une maîtrise instrumentale qui leur vaut un succès d’estime tout relatif.

Cette confidentialité leur permet cependant de construire pas à pas un itinéraire, une cartographie pop-rock lorgnant aussi bien du côté des Beatles, des Zombies, que d’Elvis Costello pour la composition des morceaux du nouveau-né Gimme Fiction. C’est donc dans une formation quasi idéale que le groupe apparaît : guitare-basse-batterie-piano, pour réinventer des morceaux déjà passablement énervés sur l’album.

No More Ride the Brakes

Et le bal peut commencer avec The Beast and the Dragon, Adore, condensé de l’univers Spoon après cinq productions studio. Plantons le décor. La force et l’intensité du quatuor se distinguent par un impondérable : une structure rythmique qui confère aux compositions une assise en béton armé. La batterie claque comme un Mauser qu’on décharge sur un cadavre encore chaud, la basse bondit et se fait ample pour donner à l’ensemble une tonicité et un aplomb à faire remuer le plus suisse des publics.

All I need is a crew/ One that can slay on cue. Il le tient, Britt Daniel, son équipage, prêt à livrer des répliques mortelles à qui s’aventure à harceler le groupe de jet de cuillères ratant régulièrement leur cible. Contrairement à Spoon qui avance et déflore les constructions les plus pop de l’album, telle Sister Jack, pour les customiser en brûlot bruitiste. Histoire de montrer que, bien plus que l’évidence de la ligne mélodique, c’est l’urgence qui est convoquée ce soir-là, quitte à carboniser les têtes les plus « fan-club » en première ligne.

L’accroche au piano n’arrange pas les maxillaires

Si la cadence imprimée jusqu’alors se révèle terriblement efficace, le point nodal de ce groupe fondamentalement sous-estimé tourbillonne autour de l’omniprésence d’un piano au diapason des autres instruments. S’il sait se faire discret et cajoleur sur Two Sides/Monsieur Valentine, il s’impose le plus souvent comme élément moteur et détonateur de compositions qui révèlent alors toutes leurs richesses. Oubliée la pose du préposé du soir, les notes parfois martelées s’envolent, reviennent, insistent pour créer un labyrinthe lancinant et percussif donnant une tournure à la fois implacable et obsédante à l’ensemble.

Force est de constater que My Mathematical Mind, écrit pour le piano, est un des titres les plus furieusement aboutis de l’album. C’est dans cette polyvalence entre une base rythmique solidement ancrée et des envolées flamboyantes et retorses que le groupe trouve toute sa force et son originalité. Si un répit nous est accordé avec I Turn my Camera on, où la voix haut-perchée de Britt Daniel s’aventure vers des accents funky et aériens, l’impression de s’engager dans une partie de bras de fer avec le groupe est de plus en plus présente et laisse à redouter chaque nouvelle piste.

Bringing About the Apocalypse

Une complicité rythmique évidente à laquelle vient s’ajouter le charisme et l’énergie du frontman. La voix claire se fait souvent combative pour mieux se frayer une voie au milieu des instrumentations denses de ses acolytes. Les uns et les autres ne ménagent pas leur engagement pour rechercher une symbiose qui fait rapidement adhérer au line-up. Dans le même temps, il s’agit de trouver un espace pour faire entendre ce que chaque instrument à d’unique au sein des compositions. Et la guitare de Britt n’est pas en reste pour donner une tournure résolument rock aux événements, et rappeler qu’à la base, Spoon faisait la part belle à un punk-rock dont l’esprit est plus que présent ce soir-là.

Des riffs incisifs et souvent imprévisibles tranchent dans le vif d’agencements instrumentaux solid as a rock. De là, une ingéniosité rageuse vient dynamiter les débats, les morceaux prennent parfois une tournure méconnaissables, les activistes trouvant visiblement un plaisir communicatif à brouiller les pistes à base d’irradiations fumigènes. Et comme il n’y a pas de fumée sans feu, les combinaisons ignifuges sont requises lorsqu’est entonné My Mathematical Mind, la bombe à retardement de l’album qui vient clôturer le set. Tout l’art du crescendo dramatique est condensé ici : un mid-tempo rythmant une composition limpide et imparable, un bloc mélodique et tellurique et une guitare enragée qui éructe d’abord avant d’incendier le tout. Britt à genoux devant son ampli tarde à mettre fin à l’agonie d’un public groggy. Tout l’art de Spoon en action, une alchimie savamment rageuse qui s’élabore au creux de nos oreilles avant d’attaquer directement le système nerveux dans une auto-destruction programmée et jouissive. Spasmophiles, s’abstenir.


Guillaume Bozonnet