Art | Bien profond | Ciné | Livres | Musik | Liens



Trio Madeira Brasil - Interview.
o melhor da musica brasileira.





On se méfie parfois à raison des films sur la musique. Cette manière d’hésiter entre illustration visuelle et narration floue, mouvement des corps et danse oculaire, fait souvent perdre patience au spectateur un tant soit peu farouche. En ce sens, Mika Kaurismäki déroulait déjà fort bien son canevas au départ. Mais lorsqu’en plus, au détour d’une amitié, un film parvient à faire se rencontrer sa musique et un public, le cinéma prend vite des airs de barque à choro auquel ne manque pas même le caipirinha de coutume.

L’étudiant, le fou, le lettré.

Ils sont donc trois. Zé Paulo pour l’érudition classique. Des armes passées entre prix et concours avant de plonger au choro pour s’y perdre les yeux fermés. Sur sa gauche, les paupières à l’inverse grandes ouvertes sur les yeux rieurs d’un éternel gamin, Ronaldo taquine depuis vingt ans la mandoline avec autant de passion que son homonyme le ballon. Un instrument dont il tire d’étranges salves joyeuses servant de contrepoint, de reprise harmonique aux quatorze autres cordes. Et bien au centre à l’orchestre, Marcello, le plus discret et sans doute pas le moins érudit des trois, entretenant après chaque morceau ou presque un art de la conversation en français (parfait) dans le texte. Un trio à l’image de leur musique, délicieusement mélodique, plein de malice et de vie, et dont le bonheur à être sur scène s’avère d’une extrême contagion.

peauneuve : Quelle était ton ambition au départ en assumant la direction musicale de Brasilheiro ?

Marcello Gonçalves : Il y a des fêtes spécifiquement consacrées au choro mais on mélange souvent au brésil choro et samba, et l’on peut dire que sur la durée le choro est assez injustement resté dans l’ombre. Souvent les musiciens de samba sont d’ailleurs au départ des musiciens de choro. Ce qui me paraissait important de montrer, c’est combien le choro fait partie intégrante de la culture musicale brésilienne. Et certains brésiliens qui semblent découvrir cette musique en fait ne la reconnaissent pas. Ils ne reconnaissent pas que telle ou telle musique est en réalité un choro. C’est un peu pour cela que j’ai voulu inclure des compositeurs comme Baden Powell ou Villa Lobos, que tout le monde connaît.

pn : Ces compositeurs ont-ils profité de leur notoriété pour rendre hommage au choro ?

M.G : Complètement. Tom Jobim, par exemple, un des plus grands de la bossa nova à mon sens, a toujours exprimé son admiration pour Pixinghina, (compositeur historique de choro, ndlr) qu’il considérait comme le plus grand compositeur de mélodies de la musique brésilienne. Et lorsque Jobim jouait du choro à sa manière, les gens ne reconnaissaient pas la structure du choro derrière le morceau de Jobim. Mais je ne parle pas d’un choro traditionnel. Les gens ont trop tendance à faire l’équation entre choro et traditionnel. Ce n’est pas uniquement ça. Il y a des choros pour chanter, pour danser, d’autres contemporains, d’autres encore plus proche de la samba, de la bossa nova. C’était un peu l’ambition du film. Montrer sans être didactique combien cette musique peut-être multiple, différente.

pn : Le film montre très bien l’aspect intergénérationnel et bon enfant de ceux qui pratiquent cette musique. D’où cela vient-il ?

M.G : Le choro est plutôt une musique très ouverte. C’est un peu pour cela qu’il y a tant de gens dans le film. On a un peu travaillé à la limite avec ça, mais c’était voulu. Il fallait montrer cet aspect convivial, ouvert de la musique. Un gamin qui joue quelques accords seulement va être invité à jouer avec de grands musiciens de façon naturelle, sans que cela ne paraisse exceptionnel.

Certains musiciens traditionnels se sont un peu accaparé cette musique, avec un discours orthodoxe parfois gênant : « Ne peuvent jouer du choro que ceux qui ne jouent que du choro ».

Alors le film montre précisément l’inverse. Avec Yamandu, par exemple, qui est une sorte de génie dans son genre. Il vient du sud du Brésil, il n’est pas de Rio et il a grandi avec une culture plus proche de l’Argentine que du Brésil. Voilà. Sa particularité apporte quelque chose de nouveau, d’intéressant lorsqu’il joue du choro.

Ginga est aussi un génie, de la même trempe que Tom Jobim je pense. C’est un compositeur contemporain qui écrit beaucoup de musiques et qui lui aussi lorsqu’il compose des choros, amène une différence, quelque chose d’unique.

pn : On a l’impression que la plupart des choros sont des morceaux traditionnels repris, arrangés, transformés. Quelle est l’importance de la composition chez les jeunes génrtions du choro dont le trio fait parti ?

M.G : Elle est énorme. Le jeunes musiciens de choro composent énormément, mais c’est un moment très particulier au Brésil. Il y a comme ça une double tendance entre ceux qui veulent créer de nouvelles choses, qui amènent de l’improvisation typiquement brésilienne, et puis des musiciens davantage tournés vers la révérence face aux classiques.

pn : Quelle est la réception du film et de votre musique au Portugal ?

M.G : Le film n’et pas encore sorti mais lors des concerts qu’on a pu faire là-bas, c’est incroyable de voir comme les gens réagissent. On se sent vraiment comme chez nous quand on va là-bas, et eux inversement ont une proximité avec le choro qui est assez étonnante. Ils ont d’ailleurs une musique assez proche bien que plus calme, plus marquée par les émotions, par une certaine mélancolie moins présente dans le choro brésilien.

pn : On parle dans le film d’une touche justement un peu mélancolique qui proviendrait des indiens. Bizzarement, c’est surtout le côté festif, dynamique du choro qui ressort à l’écoute.

M.G : Oui, c’est vrai. Je ne suis pas trop sur moi non plus, sur cette histoire de mélancolie (rires). En principe, nous ne sommes pas très proches de la culture indienne par rapport à la musique, tandis que l’Afrique est par contre très présente au niveau du rythme.

pn : Comment s’est passée la rencontre avec Mika Kaurismäki ?

M.G :Le trio Madeira a joué à Marseille en février 2004 et un ami, Marco Forster, complètement en dehors du milieu de la musique a voulu nous aider à faire découvrir le choro en Europe. A un moment l’idée du film est venu et il est devenu producteur, il a trouvé le financement et on a invité tous les deux Mika à nous rejoindre. Mika est tombé tout de suite amoureux du projet. Il aime évidemment le brésil et sa musique, puisque sa femme est brésilienne donc bon (rires), ça aide (rires). Alors voilà, maintenant la roue est lancée.


Stéphane Mas