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Ghinzu - Blow
Urgence à Bruxelles





A Bruxelles, les chevaux sont aux caves. Il en émane des sons, des brûlures qui sont vives, très vives. La musique de Ghinzu puise aux sources et transmet l’urgence, l’intensité d’une vie pleine à craquer sous le désir. Qu’on se le dise, il faut aller vite, battre et surgir la bouche grande ouverte pour ce disque.

Il faut se mettre à bondir, se ruer, partir plus vite encore. Une urgence, une rage qui n’empêchent pas le strass, les paillettes d’un live millimétré pour l’hystérie des foules. Il y a chez Ghinzu cette légèreté qui se mêle au furieux, le tout doublé d’un très beau song-writing au piano : du très grand art.

Mélodie, fureur, libido.

Cela commence par une voix basse, un rythme tendu, une mélodie pop qui vous tiennent d’emblée, avant de s’ouvrir et que le son monte à mesure en puissance, jusqu’à délivrer par le ventre une rage, une tension auxquelles on ne peut qu’adhérer. Voilà Ghinzu : mélodie, fureur, libido. Avec pour chef d’orchestre le piano sous toutes ses formes, discret sans être décoratif, pour réinventer le rock de sa forme héroïque guitare, basse, batterie.

Le petit John a dû longtemps faire ses gammes sur Chopin et Bach quand il était petit. Sans doute a-t-il beaucoup maudit son piano, son professeur de solfège et sa ville sous la neige. Car s’il y a de très belles ballades (Jet Sex, Sweet Love, Sea-side Friends), le feu n’est jamais loin, le feu colle à la troupe de Stargasm. Un feu qui se peint sur un corps aux commandes d’une énergie animale, sexuelle, et qui imprègne le rock dont ils se sont nourris ; et puisqu’il le faut, tant pis : parlons mythes et descendance - du vintage grand cru. Si les Floyd habitent le très aérien Horse, ce qui faisait l’outrance du Velvet se retrouve dans Mine - une simplicité poussée dans l’extrême, trois accords sur une batterie métronome. Au jeu des grandes icônes en parrainge, n’arrêtons pas en si bon chemin : on pense forcément à Hendrix sur le solo final de ce même Mine, tandis que sur la basse de ‘Til You Faint, c’est Noel Redding qui ressurgit pantois. Un héritage de choix, qui ne serait rien sans le talent du groupe à séquencer, reconstruire, expérimenter l’hybride, tout en s’amusant comme des gosses du mythe One-day-I’ll-be-a-star-too.

Ghinzu suinte donc le retour aux sources d’un rock d’aujourd’hui : on retrouve ailleurs cet aspect brut, féroce et sexué du rock (Bellrays, Blues Explosions, Eagles of Heavy Metal) mais rarement doublé comme ici d’un vrai travail sur le son et la mélodie qui les rapproche en même temps de Grandaddy ou Radiohead. Dans la deuxième partie de The Dragster Wave, l’inflexion du chant manière Thom Yorke se place naturellement, mais sans la pente, la teinte pessimiste de celui-ci. Au contraire, le mordant, la stridence des guitares prises dans une tourbe sonore dont on peine à s’extraire rappellent le dEUS des débuts (Worst Case Scenario). Et tout ce que l’on aime dans le rock belge, le soin mis dans la production, l’inventivité, l’audace mélodiques, se retrouvent sur High VoltageQueen, avec ce chant si particulier, sobre dans les basses infléchies et retenu sur les aiguës (le très beau Sweet Love).

Un piano pour réinventer le rock.

L’apprentissage du piano dans un salon qu’on imagine feutré laisse des traces dans les arpèges qui structurent la plupart des morceaux. Le piano dessine les ballades, mais il tisse aussi, de façon plus audacieuse, les boucles hypnotiques, les quelques rafales digitales qui rapprochent Ghinzu de la transe des dance floor (21st Century Crooners, Til you faint). La mise en scène, pourtant, l’enchevêtrement des nappes électriques, des guitares et du piano, n’appartiennent qu’au rock. Un rock primaire, animal, survolté (Do you read me ?), où les brûlures sont fraîches, intactes, éructées avec jouissance d’un désir qui déborde en plein vol (‘Til you faint, Cockpit Inferno), et partout inonde le disque.

Ghinzu se démarque de ses petits camarades par son audace musicale : faire cohabiter sur Cockpit Inferno un hardcore brutal avec une mélodie aux claviers héritée d’abord de Bach puis de Schubert est loin d’être gagné d’avance. Au propre comme au figuré, la barre est mise très haut sur ce premier album : des compositions tirées au couteau pour une musique qui n’est jamais facile, mais tellement jouissive qu’il faut la voir debout, dans la sueur. S’ils passent donc à moins de neuf cent kilomètres de chez vous, n’hésitez pas : Ghinzu sur scène, c’est le deuxième effet Ghinzu !


Stéphane Mas
Ghinzu, "Blow" - Dragoon, septembre 2004