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Broken Social Scene - You forgot it in people.
Du soleil sous la neige.





Petite pépite ensoleillée à redécouvrir au fond des bacs. Du grand nord canadien, un collectif incluant des membres de Do Make Say Think et Apostle of Hustle joue d’invention et de légèreté rythmique pour nous faire fondre les oreilles. Le résultat ? Un disque tout simplement magique. La preuve en cinq questions.

1- Que serait Broken Social Scene sans son batteur ?

Réponse fade à l’écoute de KC Accidental : un mur laiteux de guitares, une mélodie bof que le rythme soulève, tamponne et fourmille sous la plante. Avec Stars and Sons, alors que la basse ronde appelle la voix murmurée d’Andrew Whiteman, c’est encore la rythmique, l’appel des battements de mains qui donnent sa fraîcheur à l’ensemble. Il n’y a pourtant pas qu’elle. Si l’on en juge au nombre de musiciens présents sur scène, nos hurluberlus aiment à se superposer les uns aux autres - quelques cris tribaux et l’escalade reprend le dessus : chacun sa place pour le grand tourbillon synthétique d’ensemble.

2- Thurston Moore en retraite flirterait-il près d’un élevage saumon ?

Almost Crimes lâche sans prévenir une petite bombe ramassée, aussi efficace qu’un actionnaire d’Executive Life sur la brèche : une électricité sonique, puissante, et ce quelque chose de Youth qu’on retrouve dans la voix du refrain, l’inventivité sonore enfin : depuis quand n’avait on pas crié de joie à l’arrivée d’un sax dans une piperade rock ?

De résurgence du collectif, la seule consigne semble être de ne pas aller de surcharge en rajout, mais de s’insérer - nuance - à l’intérieur du son comme un chat sur sa prise, l’enrichir sans graisse, pur Kasher en régal auditif. L’apparition d’un tel animal n’est d’ailleurs pas fortuite. Parlons donc musique féline d’un naturel paisible mais aux vicieux coups de griffe, où l’efficacité rythmique n’est réflexe à rien d’autre qu’à mettre plus de rage à dire, pour s’affirmer en contre à tous les sépias du moment.

3- Pourquoi le soleil en musique ne serait-il pas aussi l’affaire de jeunes chiens canadiens ?

N’hésitez plus. Placez votre curseur sur la piste numéro six. Prenez deux cuillers, quelques boîtes de conserve et faites comme indiqué : le batteur qui dort en vous surgira pour de beaux cuivres en fin de boucle : croisière sonore au zénith, qui s’allonge et s’amuse sous le plus simple appareil. Car lorsque Broken parle du soleil, tous les instruments plongent et s’exercent à la fonderie, retrouvant les chœurs distants d’Apostle of Hustle, leur fluidité surtout, l’extension toute en douceur vers une pop apaisée.

4- Quel rapport entre voix vocoder, violons et banjo mutin ?

Piste numéro sept. Derrière cette gâterie pop se cache le premier enregistrement sonore du merveilleux alien aux seins roses qui fit en 1947 des ravages dans la petite ville de Roswell, New Mexico.

Qu’on ne s’y méprenne pas : après une ligne de basse des Cure, on croirait entendre John Mc Entire période Sea and Cake - The biz, dont l’énergie placide laisse entrevoir ce qu’il aurait pu faire mieux accompagné qu’avec Tortoise : une sorte d’effet Placebo sans pause, et ce malgré l’inflexion dans la voix d’un Brian Molko des tous débuts. Cause = time n’appartient pourtant qu’à BSS. L’inventivité dans la composition, et cet acharnement pop qui s’habille là d’un riff hindou avant de s’interrompre devant la rumeur plus bruyante des villes.

On retrouve avec Late ninetees bedroom rock for the missionaries une caractéristique somme toute assez plaisante du post-rock canadien et de tous les groupes dont sont issus les membres de BBS (Do Make Say Think, Metric, Stars) : le goût de titres incompréhensibles insufflant tout un univers en quelques mots. Celui-ci suffit en tout cas à consacrer BSS meilleur groupe de la voie lactée : une once de digital, un soupçon d’électrique pour un tout fabuleux.

5- Ces lignes verseraient-elles un poil dans la dithyrambe, l’extase béate ?

Attendez voir ! D’où vient cette irrépressible envie de sortir, pousser la porte de l’immeuble et se ruer dehors embrasser le premier corps venu, le sourire aux lèvres à mesure que se déplie Shampoo suicide et ses vocalises lorgnant vers le meilleur des Stones ?

Toute la grâce - car il s’agit de grâce - de BSS consiste à composer avec aisance cette pop où les boucles se répètent, les guitares se dévissent comme des gueules de crocodiles. Et c’est bien en plein nord de Toronto que l’influence des lointains cousins de Lambchop se fait entendre sur les lentes lames de cuivre de Lover’s Spit, que l’on retrouve en trombone sur I’m still your fag, unique ballade jazzy refermant ce disque avec la délicatesse d’un trésor caché qu’il faudrait s’empresser d’offrir à tous, jusqu’à ce que les presses elles-mêmes se mettent à fondre.


Stéphane Mas