BIEN PROFOND | CINÉMA | INTERVIEWS | Liens



Juno - Jason Reitman (Grand Prix Rome 2007)
Softcore teen wonder





Il suffit d?ajouter neuf ans à la petite Olive de Little Miss Sunshine pour tomber sur Juno, dernier miracle de la comédie u.s. et Grand Prix au Festival de Rome. A l?opposé des frasques gentiment misogynes et infantiles de Judd Apatow et autres Farrelly, Juno ramène l?intelligence et l?extrême finesse au cœur de la comédie. A revers de clichés sur l?adolescence en grossesse, l?adoption et l?Amérique par sa classe moyenne, un film pour faire aimer l?humanité aux misanthropes et réconcilier les familles dysfonctionnelles à travers la surface du globe.

Bien qu?elle promène avec une certaine insouciance son litre de Sunny D et ses tests de grossesse, Juno doit vite se rendre à l?évidence. L?année de ses seize ans sera celle de sa grossesse. Elle tentera d?abord de se pendre, en vain. Un exercice au goût sucré du bonbon qu?elle utilise pour sa mise en œuvre : un fil rouge au goût chimique et fruité sentant fort l?adolescence. Quant au papa, premier de la classe doux comme l?agneau et fétichiste de peites culottes , il continuera de courir fier et vaillant dans sa tenue rouge et or des Dancing Elks de son lycée. Un pur ringard provoquant chez le spectateur l?émergence d?un sourire qui ne le quittera désormais plus.

La teen culture est-elle encore cheap et choc ?

Juno est donc d?abord un film d?adolescence. Un hommage au génie de la teen culture pour le cheap et le choc, qu?il s?agisse de la mode (pulls et sur-chemises bigarrés, converses sales), de l?inventivité orale (farouche intelligence des dialogues) ou de la décoration intérieure (surcharge baroque de la chambre d?ado, et son ultime artéfact, le téléphone-hamburger). Dans une orgie du langage à peu près perpétuelle, le script de Diablo Cody ramène donc l?ado aux fondamentaux de son relationnel : la meilleure copine (Leah), l?ex-futur petit copain (Bleeker) et les parents.

La grande nouvelle passera donc par les référents de circonstance. Une classe moyenne de l?Amérique tranquille, où le père répare des machines à laver tandis que la belle-mère se passionne pour les chiens. Pourtant, ni linge sale à laver ni mauvais comptes à régler. L?écoute est franche, attentive, atterrée. Comment pour des parents imaginer leur fille tomber enceinte alors qu?ils ignorent même qu?elle est « sexuellement active » ?

Contre la comédie régressive, Juno invente le grunge-pop

Diablo Cody perce le politiquement correct u.s. par des répliques mêlant pot-pourri d?arcs-en-ciel langagiers, imagerie grotesque et métaphores saugrenues. Pourtant, l?humour n?a pas ici la prétention de se faire avalanche. Farrelly et Stiller peuvent vite reprendre leur panoplie de gentils comiques surévalués. Si Juno sonne juste et touche souvent pleine cible, c?est précisément parce que le comique n?y est jamais poussif.

La vie comme elle vient, tout simplement. Que faire d?un bébé lorsque l?on a seize ans ? La case glissante de l?avortement sera traitée en quelques plans. Tandis qu?une gamine manifeste devant une clinique son amour des fœtus, une autre un peu freak à l?accueil distribue préservatifs et formulaires dans un esprit soviet bureau ayant tout pour séduire. Compte-rendu des courses : une idée lumineuse. Donner son bébé à au couple pour qu?il soit adopté.

Ajournement transgressif et loi du don. L?Amérique, c?est par là ?

Mine de rien, la loi du don résonne. Dans les petites annonces du gratuit local, entre les ventes d?iguanes et d?oiseaux exotiques, Juno et Leah trouvent le couple idéal : Vanessa et Mark. Grande maison, gros salaire et désir immense d?enfants pour une rencontre de deux Amériques aux tranches d?impôts paradoxales. Impossible en effet d?imaginer plus fort contraste entre l?univers grunge-pop de Juno et la future mère adoptive dont la gentillesse à l?américaine - i.e. empruntée - cache la terreur d?être une nouvelle fois déçue, trahie dans son désir d?enfant.

Vanessa a tout prévu. L?avocat, les jouets, la chambre, les vêtements. Son existence entière réduite à l?accueil du nouveau-né comme d?autres attendent le messie. Mark, lui, pencherait plus sur Juno. Le couple s?écarte alors. Quelques visites et une paire de sourires suffiront à insuffler le doute. Cet homme si bien sous tous rapports irait-il jusqu?à flirter, séduire, profiter de l?adolescente ?

L?adolescence softcore - l?amour en guise de rage

Jason Reitman et Diablo Cody laissent le trouble flotter puis se rattachent à leur propos. En guise d?un drame trash et juteux, Juno cerne l?ado dans son essence. Une gamine jalouse son ex pour un bal de promo, s?engouffre des kilomètres de junk food dans les couloirs de son lycée, provoque et soulève les cœurs par son ventre-planète. Puis cette soudaine bascule vers l?enfance dans un immense élan de conformisme social. Se marier, n?est-ce pas tout faire pour vivre heureux jusqu?à bien s?enterrer soi-même ?

Un arrêt sur image d?une gamine en larmes à son volant, et toute la grâce de Juno apparaît à l?écran. L?adolescence saisie dans son génie de brouillon rebelle mais aussi dans ses restes d?enfance et sa bascule vers l?âge adulte. Le seul idéal qui vaut sera donc individuel. Une promesse sur un papier froissé mis en cadre sur le mur d?un enfant. Une femme ayant droit au bonheur pour l?avoir simplement mérité. Un couple adolescent qui se resserre et porte la grâce en musique.

Juno, le teen movie de sept à soixante dix sept ans

Certains reprocheront à Juno ce côté softcore lui faisant sacrifier l?excentricité régressive qui faisait jadis le charme (les mêmes diront l?essence) des premiers teen movies. Car en refusant la vulgarité ou le déboulonnage outrancier des icônes parentales, Juno ramène de fait la marge au centre du mainstream, conférant à tous ses personnages un artichaut en guise de cœur.

Prenons Mark. Un zest de post-adolescence infantile sur un soupçon de mari en fin de course amoureuse et Diablo Cody crée l?alchimie parfaite d?un personnage réussi. La mise étant doublée par deux, puis quatre pour finalement toucher le cast dans son ensemble, tant chaque rôle, à l?écriture comme sur la pellicule, révèle un travail collectif d?une très grande fluidité. Plus important, sans coup d?éclats ni grande dénonciation, Juno redonne à la classe moyenne américaine ce qui depuis longtemps avait disparu de ses représentations au cinéma - ni plus ni moins que son innocence.

L?anticonformisme moral ou le rêve d?une autre Amérique

Cette même innocence rapprochant, bien que dans un registre très différent, le Juno de Reitman d?Into the Wild de Sean Penn également présenté à Rome. Deux films pour une double culture u.s. D?un côté, la version noble et classique puisant dans les idéaux beat et naturalistes de la littérature (Penn). De l?autre, la frange indépendante d?une teen culture ouvrant son esprit rebelle aux larges foules du mainstream. Deux films surtout qui, par leur refus du mépris, prônent un anticonformisme moral de haut vol. Comme si, au delà du cinéma, l?inconscient s?attachait à colmater les brèches identitaires d?une Amérique horrifiée par l?héritage de Bush.

Côté comédie, Juno affiche à première vue une parenté directe avec Little Miss Sunshine. Ce mariage détonnant de la marge avec la norme, du mode caustique de l?adolescence à l?immense tendresse des scénaristes pour leurs personnages dans le portrait d?une Amérique paradoxale dépeinte telle qu?en elle-même. Et tant pis si la satire sociale au coeur de Little Miss Sunshine semble avoir disparu au profit d?un étrange universalisme américain de la famille. Par l?intelligence comique de ses dialogues, la finesse de ses personnages, la performance collective de ses acteurs, Juno est bien l?une des comédies les plus sensibles sur l?adoption et l?adolescence en grossesse qu?on ait vues depuis des lustres. Une petite merveille de réconciliation fin prête pour récolter ses oscars.

Lire l?interview d?Ellen Page et Diablo Cody.


Stéphane Mas


 

© 2005-2007 peauneuve.net - liens - - haut de page