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Festival de Cannes - Bilan du 60ème (part one)
Retour sur compétition





Certaines bougies se mangent froides. D?autres célèbrent une éternelle jeunesse, il suffit de ne pas confondre. Ce 60ème aura donc eu le visage poupon d?un vieux bébé ne sachant plus trop où donner de la tête. Entre paillettes, business et salles obscures, une seule évidence : la plus grande foire cinéphage mondiale aura fait bel honneur à la diversité de ses regards.

Si la compétition fut riche, puissante et soignée, l?éclairage en synthèse se doit d?en distinguer les miroirs et les cloisons. Commençons par ceux dont on veut parler le moins. Une pulpe du divertissement pour des cinéastes dont le brio, tout au moins le savoir faire, ne parvient pas à masquer le vide. My Blueberry Nights, Promise me this, Death proof partagent donc le même principe onaniste du plaisir par la répétition. Wong Kar Wai, Kusturica et Tarantino enfonçant ainsi à tour de rôle les portes ouvertes d?un cinéma s?adonnant avec une joie infantile à l?auto-plagiat et l?obsession maniaque.

Trio de maîtres en petits joueurs

Kusturica invente, amuse, cabotine, mais au-delà du plaisir de vision, une traîne d?inconfort demeure. Comme si ce cinéma se complaisait dans un marché oeuvrant à la satisfaction d?un client acquis au préalable à sa cause. Un cinéma où niche et mainstream se retrouveraient à l?unisson. Une sorte de laque dont Gus Van Sant refuserait la brillance tout en cédant à une tentation du même ordre - celle d?une oeuvre pleine d?elle-même au risque de l?éclatement. Sil n?a pas encore basculé, Gus Van Sant reste en bordure. De Paranoid Park, film mineur d?un grand cinéaste, une scène se fixe en mémoire comme un fragment de rêve. Celle du long tube de béton où l?un des jeunes skateurs s?aventure en ondulant. Comme si Van Sant s?apprêtait lui aussi à sortir d?un cycle pour s?ouvrir vers ailleurs.

La sélection américaine aura fait sensation. Maîtrise des genres et de leurs codes, épure des mises en scène, force du montage, construction des personnages. Une preuve de plus qu?on peut vendre sans rien renier à l?art. Fincher joue la bascule d?une tension frigide dans Zodiac tandis que James Gray assume sa révérence pour Scorsese dans un We own the night assez brillant mais abîmé par le conservatisme de sa morale, dont on retrouve d?ailleurs l?odeur, les pliures, la poussière dans l?excellent No Country For Old Men. Enfin les frères Coen retrouvent l?ampleur narrative, le tranchant, la noirceur d?antan, pour un portrait d?une Amérique effondrée dans ses mythes, percée d?un trou au milieu du front.

Palme d?or à la vie dure. Les systèmes tombent, les actrices se relèvent

La palme d?or de Christian Mungiu est heureuse. Davantage qu?un consensus politique mâtiné d?empathie, 4 mois, 3 semaines et 2 jours tient son sujet bien en tenaille. Ce n?est donc pas que l?avortement d?une étudiante mais bien celui du système Ceosescu dont Mungiu démonte les rouages par l?écart, montrant combien tout se joue d?abord à l?échelle individuelle. Un récit sec, dur et sans autre appel d?air que celui d?une nuit noire, dont la tension passe toute entière dans le jeu des actrices et la mise en scène.

Parlons-donc des acteurs. Le premier rôle masculin aura constitué la seule vraie surprise d?un palmarès par ailleurs irréprochable. Difficile en effet d?abonder pour Konstantin Lavronenko (Le bannissement) lorsque Javier Bardem incarne avec pareil aplomb chez les Coen la folie plate d?un tueur passant la logique en roulette. Côté féminin, l?interpétation à Ro-Yeon Jeon, amplement méritée, illumine Secret Sunshine de douleur, forçant le deuil par l?intime sur l?écran blanc du grand palais.

L?Amérique asphyxiée par le meurtre. Ailleurs, la famille face au deuil

Voilà l?autre grand thème de la compétition. La famille décharnée, famille dont les membres se séparent (Le Banissement) se recollent (De l?autre côté), se perdent (La forêt de Mogari) ou disparaissent (Téhilim). Souvent, telle l?Alexandra de Sokourov déambulant ses restes de tendresse dans un camps militaire, il s?agit de ramener l?amour sur un territoire dont les traces en ont disparu. Le deuil, réel ou symbolique, occupe dès lors le centre. La délicatesse de l?intime dans le très beau Mogari No Mori de Naomi Kawase, traitant du deuil par le jeu. L?exploration des failles, la fuite identitaire et la rédemption dans le dernier Fatih Akin qui trouve avec De l?autre côté une maturité d?écriture ouverte au meilleur.

Film également cassé par le deuil, De l?autre côté déplie sa narration sous une lumière au zénith là où Zviaguintsev bascule Le Bannissement au crépuscule. On retrouve chez le russe les jeux éblouissants de lumière entre une ville industrielle sous la pluie et une campagne hantée par les vestiges du père. Dommage que la mise en scène, superbe, soit rognée par un scénario poussif et des personnages trop abstraits pour faire corps. Ne joue donc pas innocemment à Tarkovski qui veut sans en payer la note.

Reygadas l?insolent, entre lumière, parole et morale

Gardons pour la fin ceux dont personne ne veut. Deux films à part venant buter sur le temps. Import/Export, malheureusement pas vu, pour coller sur nos paupières ce que l?on ne veut pas voir, posant sans cesse la question du quoi et du comment montrer. Film dont la démarche et l?impact sur le spectateur (adhésion ou révulsion) semblent rapprocher de manière inédite Ulrich Seidl et Carlos Reygadas.

Vilain canard mais loin d?être petit, le cinéaste mexicain enlève quant à lui haut la main avec Lumière Silencieuse la gifle palmée de l?insolence. Certes le symbolisme est présent, mais moins épais que chez Zviaguintsev, il s?attache avant tout à l?humain. Reygadas met la bible au centre et appuie sur les êtres. Un livre jamais montré mais débordant de toutes parts, passant le religieux sur les peaux, les gestes, les décors. OK Corral métaphysique à la sérénité grave et lente, Stellet Licht ne rappelle donc pas Dreyer ou Malick pour rien. Il poursuit la trajectoire d?un cinéaste découpé comme ses personnages entre morale et passion, n?hésitant pas à vider ses cartouches d?absurde avec une apparition télévisée de Brel sur le parking d?un marchand de glace - ultime bonbon pour décidément une bien belle fête de lumières.

Part Two : bilan des sections parallèles.


Stéphane Mas