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Pawel Pawlikovski - Interview !
Inside My Summer.





On peut globalement dire que le Festival du Film de La Rochelle est fabuleux. La preuve avec cette mini rétrospective du cinéaste britannique d’origine polonaise Pawel Pawlikowski. Avant de s’attacher aux effluves pré-pubères de deux adolescentes lovées sur fond de Yorkshire, Pawlikowski cherchait à démêler, caméra au poing, ce qui le retenait encore à l’autre côté, l’Est massif et son désordre absurde peuplé de personnages Gogoliens. Rencontre avec un humaniste à l’ironie féroce.

peauneuve : Votre travail sur l’image est très différent d’un film à l’autre, le grain très brut de Last Resort contre l’aspect plus fin, plus lisse de My Summer of Love.

Pawel Pawlikovski : Le sujet du film exige cela naturellement. Pour My Summer, je voulais créer un monde sensuel sans tomber dans quelque chose à la David Hamilton (Rires). Je voulais filmer une autre Angleterre. Le Nord Yorkshire est toujours en demi-teinte, entre le gris, le vert, le marron. Il fallait sculpter ce paysage avec la umière et la couleur, pour qu’on puisse le remarquer à nouveau. Quand j’ai vu ces montagnes, cela m’a fait d’emblée réagir. Il y avait un côté presque plus préhistorique, ce qui est très rare en Angleterre. C’est un pays où on ressent partout l’humain, l’industrie. Je voulais échapper à cette image automatique, stéréotypée.

pn : Ce côté préhistorique me rappelle une très belle scène de My summer of Love, lorsque Mona et Tamsin se font leur déclaration devant le feu, leur visage complètement dans l’ombre. Le spectateur est presque obligé de se demander, de deviner qui parle, qui est qui. Etait-ce écrit au départ dans le scénario ?

p.p : Elle était un peu différente. En fait pour le tournage, nous étions dans la forêt et au niveau logistique, c’était un vrai cauchemar. Au début, je voulais qu’il y ait de la lumière sur les visages mais ce n’était pas techniquement possible à ce moment-là et on a donc tourné la scène comme ça. Mais bon, les visages dans l’obscurité avec le feu donnait un aspect trop démoniaque, vraiment. (Rires) J’ai donc changé les dialogues pour les rendre plus kitsch, plus ironiques.

pn : Vous avez modifiez les dialogues au moment même du tournage de la scène ?

p.p : Oui, vous savez, cela arrive. Quand je sens dans une scène comme cela qu’il vaudrait mieux modifier quelque chose, alors on le fait, voilà. Cela me vient aussi du documentaire, cette façon de rentrer dans le film comme un mécanicien. J’aime être réactif pour améliorer, affiner ce qui est écrit. (...) Dans Last Resort/Transit Palace, plusieurs scènes qui montraient les rapports entre Tanya et Alfie étaient écrites. Il fallait donner plus de chaleur, d’érotisme à ces personnages mais c’était trop cliché, cela ne fonctionnait pas. Je me disais comme dans Pierrot le fou « Qu’est-ce que je peux faire ? » (Rires), et puis il y a eu cette tempête énorme sur Margate (lieu de tournage, dans le S.E de l’Angleterre, ndlr). Alors on a changé le plan de tournage, on est allé tourner sur la digue et juste après on a fait les scènes de l’appartement, où ils se sèchent et où il se passe vraiment quelque chose.

pn : Paddy Considine joue à la fois dans Last Resort et My Summer of Love. Vous le connaissez depuis longtemps ? Qu’est-ce que vous recherchez d’abord chez un acteur ?

p.p : J’ai travaillé sur ces deux films par qu’il possède ce ressenti que je recherche chez un acteur, ce pouvoir d’incarner, d’être à la fois tendre et dur, simple et complexe. Je ne m’intéresse pas au cerveau de l’acteur. Je suis sensible aux visages, aux corps, aux émotions, s’ils en ont (Rires). Je n’ai pas de méthode concrète. On passe du temps ensemble, et je crée ma doctrine, ma propagande au jour le jour, comme Goebbels (Rires).

pn : Votre plan de tournage peut donc se modifier assez vite ?

p.p : Oui, dans My Summer, beaucoup de scènes ont été écrites le jour même. Comme lorsque les filles fument, allongées, et qu’on les voit disparaître sous les hautes herbes. C’était un des premiers endroits que j’avais photographiés durant les repérages, mais ce jour là, après avoir tourné une autre scène, la lumière était si belle que je me suis dit : maintenant ! On y est allé et j’ai combiné la scène sur mes genous, en donnant les indications derrière la caméra, comme ça.

pn : Grâce à vos actrices, vous parvenez à rendre quelque chose de très juste sur l’adolescence, une représentation très différente de celles de Gus Van Sant ou Larry Clark par exemple.

p.p : Il faut faire attention à la forme. Chez Gus Van Sant, les ados font la gueule, la pose. Tout cela est très second-hand maintenant. Cette attitude vient des médias, de l’imagerie Nirvana, etc. Je préfère moi une adolescence moins médiatisée qui ressemble plus à ce dont je me souviens, comme avec le personnage de Mona.

pn : Vous sentez vous particulièrement proche de ce personnage ?

p.p : Je me suis beaucoup identifié à elle, oui. Mais bon plus vieux, j’étais plus Tamsin alors, bon...Il y a vraiment ce côté Catcher in the Rye que j’adore mais toutes les deux restent assez proches du roman d’Helen Cross.

pn : Lequel des deux personnages a le plus évolué durant le tournage par rapport au scénario écrit ?

p.p : Mona peut-être davantage. Tamsin est restée plus fidèle au livre car c’est au fond quelqu’un d’assez mécanique et simple. Elle est un peu vide, au fond, elle joue son propre rôle, un peu comme Zhirinovski. Elle a besoin d’un public. Elle tombe sur cette fille qui ne déchiffre pas son manège et elle se met à jouer. Il faut qu’elle séduise absolument les autres. Natalie Press, qui joue Mona, est comme son personnage, beaucoup plus complexe, pas du tout working class, mais un peu comme moi, habitée par de nombreux personnages.

pn : Comment l’avez vous découverte ?

p.p : Juste avant My Summer of Love, elle avait fait un court métrage qui a gagné un prix alors je ne peux pas tout à fait dire que je l’ai découverte, mais presque. Elle n’avait jamais tourné de long métrage. Elle dégageait une intensité qui venait vraiment d’elle. Je pense qu’au cinéma on ne peut pas jouer des choses qu’on ne trouve pas en soi-même, quelque part. Il faut savoir trouver cela chez eux, le problème étant que certains n’on rien à trouver, rien à faire sortir (Rires).

pn : Les reproches faits au film tiennent à un certain manichéisme. La riche aristocrate intello contre la pauvre fille issue des couches populaires. On vous a, de manière assez surprenante d’ailleurs, rapproché de Ken Loach par exemple. A quel moment vous êtes-vous posé la question du social dans le film ?

p.p : A aucun moment. Le social était simplement dans les personnages. Je n’ai pas cherché à souligner ce trait. L’Angleterre est une société de classes, il n’y a rien à dramatiser, ce ne serait pas intéressant : c’est un fait. Voir une fille de bonne famille monter à cheval dans le Yorkshire est tout à fait normal.

pn : Même si on l’oppose à une mobylette sans moteur, très belle idée par ailleurs ?

p.p : Savez-vous d’où vient la mobylette ? C’est jsutement comme cela que j’ai rencontré pour la première fois Trévor (personnage principal de Twokers, ndlr). Cela m’a tellement touché que j’ai voulu reprendre l’idée dans My Summer. Mais ce qui est drôle dans ce que vous dites, c’est qu’en Angleterre, si les gens ont déploré quelque chose c’est plutôt le manque de social. Moi ce qui m’intéressait, c’était la culture de ces deux filles. En faisant Twokers, j’avais été frappé par le manque de perspective de gens comme Mona. Un de leur seul contact avec le monde, c’est la télé ; ils n’imaginent rien d’autre. D’un autre côté, l’éducation privée que reçoivent les jeunes un peu plus riches n’est pour l’essentiel que les bases d’une culture européenne leur servant à briller en société. Je voulais travailler sur ces personnages, leur évolution, aller voir un peu plus au fond.

pn : Dans My summer of Love et surtout Last Resort, les scènes sont tournées dans un nombre assez limité de lieux. Est-ce pour mieux vous concentrer sur vos personnages ou cela correspond-il à votre vision de cinéaste, avec assez peu de mouvements, de travellings par exemple ?

p.p : Il faut simplement choisir des lieux qui peuvent signifier quelque chose, et c’est très difficile en fait il faut vraiment chercher (Rires).Il y a certains lieux comme Margate qui me font immédiatement réagir. Je voyage beaucoup pour trouver de tels lieux, des endroits qui déclenchent quelque chose en moi.

pn : Il y a d’ailleurs souvent ces lieux un peu à l’abandon que l’on trouve également chez Wenders.

p.p : Oui, je suis pourtant assez éloigné de lui au niveau des émotions mais j’ai vu beaucoup de ses films, ça a du laisser une empreinte. Cela me vient surtout de tous les films américains des années 70 où on savait filmer, faire des images.

pn : Vous avez maintenant cette façon bien à vous de tenir votre cadre, avec ces petites variations, ces légers mouvements d’un cadre « fixe-tremblé » qui est désormais votre signature.

p.p : Le cadre fixe permet avec une longue focale de créer un monde pictural où le paysage devient dramatique, et dans lequel les personnages sont presque emprisonnés. Je voulais cette beauté du plan fixe que j’apprécie davantage qu’un monde mouvement, que je risque d’ailleurs de découvrir dans mes prochains films. Mais parallèlement, je cherche une certaine complexité aux personnages, j’ai donc besoin d’un cadre assez proche. L’idée organique a donc été de mélanger les gros plans de caméra à l’épaule pour s’approcher de l’intériorité, de la nervosité des personnages, avec d’autres plans plus statiques. Chaque film impose ses propres règles, mais ce qui m’ennuie, ce sont les cadres moyens narratifs. Moi, je voulais les paysages et les visages, voilà ce qui synthétise la grammaire de ce film.

pn : A travers vos différents films, on passe de l’ironie très forte à la tendresse sur tout ce qui touche à l’humain. Cela vaut-il également pour Zhirinovski ?

p.p : Pas vraiment. Je n’éprouve pas de tendresse particulière pour Zhirinovski. Je n’ai pas trouvé la personne derrière le personnage, simplement parce qu’il n’y avait rien derrière, rien qu’un vide. Un populisme vide. (...) Un peu comme avec l’arrière petit fils de Dostoïevski. Il n’y avait que l’Homo Sovieticus concentré sur son plan, trouver sa Mercedes. Vous parlez d’ironie, d’émotion, et c’est vrai cela m’attire. Je suis moi même rempli de paradoxes, de contradictions. Il y a plusieurs personnages qui luttent : c’est un véritable champs de bataille à l’intérieur.

pn : Même sur le tournage d’un film ?

p.p : Ce qui m’attire, c’est l’idée de synthèse : d’un film à la fois fiction et documentaire. Oublier les typologies humaines normales et trouver une vérité propre au personnage à travers différentes couches, différents niveaux.

pn : Quelle a été alors votre manière d’aborder Karadzic dans Serbian Epics ?

p.p : Là c’était différent. Ce n’était pas un film sur un personnage, comme dans le cas de Zhirinovski. Le sujet du film, c’était les Serbes, et la guerre. En réalité, derrière l’aspect primitif du conflit, il y avait une réelle complexité. Au début les serbes étaient en liesse, ils chantaient, dansaient, il y avait un côté infantile dans tout ça. J’espère avoir réussi à la filmer, à le montrer par le cinéma.

pn : Complètement. Le très beau plan du cheval qui tourne attaché au piquet pour battre le foin et qui reprend l’encerclement de Sarajevo par les Serbes en est un très bel exemple.

p .p : Tout à fait, mais le but c’est toujours de mettre du sens derrière les images. Que cela ne soit pas de la masturbation intellectuelle. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté de faire des documentaires. On trouve de moins en moins d’images synthétiques, d’images signifiant quelque chose. Car il y a trop d’images, tout est trop travaillé. J’aime créer des images qui incarnent plusieurs choses. Or si l’on filme des visages, tout du moins dans les pays Anglo-saxons, tout est déréglé, transformé par la pose télévisuelle. Les gens se comportent comme des personnages de télévision. Le seul moyen de réagir à ça, c’est peut-être de créer un monde à part où l’on enlève ces poses, ces réflexes induits par la télévision.

pn : Vous avez complètement délaissé le documentaire ?

p.p : Disons qu’il presque aussi difficile de trouver un financement pour un documentaire que pour une fiction, maintenant. A l’époque (il a quinze ans, âge d’or du documentaire BBC, ndlr), je pouvais avoir une idée comme pour Dostoïevski, et la mettre directement sur pellicule, demander directement des fonds à la BBC. D’autre part le documentaire était pour moi une manière d’explorer le monde de l’Europe centrale et orientale parce que tout cela m’intéressait, l’idéologie, les religions, le matérialisme naissant, et la séparation très nette entre l’ouest et l’est. C’était un champs d’expérimentations intéressant et proche de moi. On trouvait des situations , des personnages, des images pas encore trop abîmés par les médias. Les gens étaient sculptés par leur vie, par l’histoire.

pn : Un film sur Zhirinovski serait-il encore possible aujourd’hui ?

p.p : Sans doute que non. A l’époque les médias ne faisaient pas encore parti de la politique. C’était quelque chose qu’ils devaient utiliser sans en maîtriser les techniques, les ficelles. Maintenant, les politiques jouent avec les médias. D’ailleurs, même à l’époque je n’aurais pas fait Tripping with Zhirinovski s’il n’y avait pas eu justement l’idée du bateau, du voyage, du mouvement. Il y avait cette combinaison du voyage en bateau et du bonhomme. J’ai souvent la tentation de mettre des calques littéraires sur la réalité. Or Zhirinovski était vraiment un personnage de Gogol. Et le contraste entre lui comme escroc en train de vendre son discours idéologique avec sa vodka à son nom, et d’un autre côté la fluidité de la vie autour de lui, tout cela faisait un tout, entre le rire et le malaise, teinté d’une forte ironie.


Stéphane Mas