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Soyez sympa, rembobinez - Michel Gondry
Décroche burlesque suédée





Passaic, New Jersey. Fletcher (Danny Glover), la soixantaine, laisse pour quelques jours la responsabilité de son magasin de location VHS à son second, Mike (Mos Def). Bientôt rejoint par son meilleur ami Jerry (Jack Black), les deux compères seront vite embarqués malgré eux dans les joies abyssales de la fabrique d?images. Ode décalée à la culture do-it-yourself-carton-pâte-bouts-de-ficelles ainsi qu?à l?activisme communautaire déjà croisé sous la houlette de Dave Chappelle dans Block Party, Michel Gondry s?envoie du comique magnétique en rustine pour une amplitude maximale des zygos sur l?échelle des frères Lumière. Régressif, hystérique et réjouissant.

Soyez sympa, rembobinez est tout imprégné de la fin d?une époque. Celle des années 80, du plastique multicolore, des couleurs flashs et des VHS. Le glas semble avoir sonné pour la boutique de location, amenée à disparaître au profit d?un grand projet immobilier. Menacé d?expulsion, Fletcher décide de remettre à flot son business en enquêtant sur son rival, le géant commercial Blockbuster. Pendant ce temps, Jerry cherche à convaincre Mike de l?accompagner dans une opération commando pour saboter la centrale électrique locale. Au cours de l?expédition, il se retrouve le visage grillé comme un damier lunaire, et son corps totalement magnétisé provoquera l?effacement de toutes les cassettes vidéos du magasin.

Soyez sympa, rembobinez prend le parti de la comédie décervelée. Pour réparer la monstre bévue, nul autre choix que de retourner les films avec une RCA Super 8 et les moyens du bord, soit à peu près rien. Le film devient un catalogue des remakes réalisés par les deux princes du New Jersey. Jerry, jouera l?acteur mégalomane dans un consommé hystérique et iconoclaste à faire se damner quelques nonnes. Quant à Mike, gentil benêt black au cœur d?artichaut, il deviendra réalisateur. Un duo de choc pour « suéder » refaire, recréer, les plus belles perles du box-office des années choc et flash.

Masterflash speed et choc

Incarnant la paillette et la fièvre coke des eighties, Ghostbuster marquera la première collaboration des deux compères. Guirlandes en vers articulés dans un fond de bibliothèque, voiture customisée aux feux d?échappements dignes de la navette Challenger, épaulettes de Robocop en feu de reconnaissance de 747 et pistolet sèche-cheveux à vous retourner les bigoudis. Suivront Rush Hour 2, The Lion King, Driving Miss Daisy et Boyz in the Hood pour une hystérie goof allant du pire au meilleur et retournant de fort belle manière l?ostracisme de la cinéphilie vis-à-vis des remakes.

Dans sa logique suédée, le raisonnement de Gondry semble implacable. Puisqu?un remake de classique est forcément inférieur à l?original, un film suédé dépassera donc toujours son prédécesseur de navet. Sauf que les deux acolytes ne s?attachent pas qu?au pire. On croisera ainsi un King Kong à la mâchoire de semi-remorque, une Odyssée de l?espace retournant la gravité entre un tambour de lave-linge et un frigo inter-stellaire, ainsi qu?Un dernier tango à Paris jouant de beaux baisers sur moustache entre Jerry et Alma, la blanchisseuse du quartier.

Suéder n?est pas jouer ? Petite séance de trash funk

Devant le succès grandissant de l?opération, Mike & Jerry poussent à l?extrême le raisonnement inavoué des studios. Le cinéma se limitera donc à la comédie et au film d?action. Quant aux artistes, ils n?ont qu?à réaliser à la demande les films que les spectateurs veulent voir. Bingo ! Les commandes affluent, la célébrité gagne les foules, le magasin atteint des records d?affluence. Quand soudain surgit l?éclair d?illumination : pourquoi ne pas mêler les spectateurs au processus même de création des films ?

L?activisme collectif prend alors le dessus. Le film suédé communautaire sera la biographie de Fats Waller, continuant ainsi le mythe initié par Fletcher selon lequel le grand pianiste serait né sur les planches mêmes de sa boutique. Un roi du jazz dont la présence chez Gondry n?a pourtant rien d?anecdotique. De son activité première - le clip - jusqu?à son film Block Party, le cinéaste s?est toujours montré sensible aux rent parties, concerts à domicile ayant pour but de joindre l?utile (payer un loyer) à l?agréable (faire la fête) pour le plus grand plaisir de tous. Bien sûr, pour 20 millions de dollars, la blague est pour le moins salée. Il semble bien loin le temps où les Marx Brothers sortaient pour vingt fois moins de budget La soupe au Canard, une des plus grandes comédies de tous les temps.

Retour vers le futur, hommage cinéphage total

Reste qu?avec trois bouts de ficelle en poche et des égouttoirs sur la tête, le collectif communautaire comme art de vivre a encore de beaux jours devant lui. Piano en carton, contrebasse en pneus, naissance d?un futur obèse par une feuille de papier, poursuite en Caterpillar et train arrivant en gare de La Ciotat, Gondry n?en finit pas de recycler ses classiques dans un art consommé du glanage. Mais pour aller où ? Et qu?est-ce qui, au fond, distingue Soyez sympa, rembobinez des comédies régressives d?Appatow et autres Farrelly ? Ni l?humour, ni la mise en scène, pas plus que la profondeur des personnages, le jeu des acteurs, les ressorts d?intrigues ou l?épaisseur du script. Mais une sève créatrice illuminée, un art du rythme bondissant et cette manière avec laquelle Gondry déborde toujours son cadre - ici le comique - pour mêler l?utopie au réel.

L?apparition de Sigourney Weaver en justicière du copyright coupera la langue des plus bavards. Qu?on se le dise, l?ordre règne en Amérique sous le poids littéral d?un rouleau compresseur. Sans cesse en funambule entre bêtise, parodie et légèreté gamine, Gondry dépasse ses faux-airs d?amateur pour une petite merveille de final mariant l?utopie communautaire à un hommage très touchant aux inventeurs d?images de tout temps. D?un côté, le retour nostalgique au cinéma muet des origines comme art collectif du bricolage. De l?autre, l?élan parodique d?une créativité goof pullulant sur Youtube depuis sa création. Soyez sympa, rembobinez poursuit donc l?odyssée cinématographique d?un équilibriste rêveur faisant danser les croches dans nos pupilles. Et s?il faudra attendre la sortie dvd pour admirer la biographie suédée intégrale de Fats Waller tournée avec les vrais habitants de Passaic, que les foules se consolent : la magie des zygos se déplie bien plus au large dans une salle qu?au milieu du salon.

Lire aussi l?interview de Michel Gondry.


Stéphane Mas


 

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