BIEN PROFOND | CINÉMA | DVDs | INTERVIEWS | Liens



Royston Tan - Interview !
Drowning by numbers





Après l’émulation hybride trans-punk adolescente de 15, Royston Tan change son fusil d’épaule. Dans un film aussi lent et silencieux que le précédent était hystérique et bruyant, le jeune réalisateur de Singapour évoque au (très) long cours la genèse, le tournage bicéphale de 4:30 et ses relations avec son mentor Eric Khoo, dont il rejoint ici la grâce en évoquant la fin de l’enfance, l’initiation à l’altérité, le regard et le corps comme langages.

Comment s’est déroulé l’écriture de 4:30 par rapport à votre précédent film 15 ?

C’est venu durant l’écriture de 15. Les ados étaient si difficiles à tenir et j’avais toujours peur qu’ils fuguent que nous dormions tous dans le même appartement. J’étais ainsi à peu près sûr de pouvoir m’occuper d’eux et qu’ils se lèvent à l’heure pour le tournage. En général, le temps qu’ils finissent de manger, qu’ils prennent leur douche et qu’ils aillent se coucher, il n’était jamais très loin de 4:30 du matin et je pouvais enfin préparer la journée de tournage du lendemain.

A ce moment-là, je me sentais souvent un peu seul et quand je regardais par la fenêtre, je voyais toujours des immeubles avec des fenêtres éclairées, donc beaucoup de gens qui ne dormaient pas. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire 4:30.

It came during 15 actually. All the teenagers from 15 were so wild and I was so afraid they would run away that we all slept in the same apartment to make sure that I could take care of them and that they would wake up on time to go for the shooting. By the time I had made sure they had taken their shower, finished dinner and gone to bed, it was always around 4:30 and I had to prepare for the next day’s shooting. It gets really lonely and when I looked out the window I would see buildings with lights and many people obviously weren’t sleeping. That’s when I developed 4:30.

Aviez-vous dès le depart cette forme très écrite du film, avec une seule phrase pour les deux personnages du film, quasiment aucun mouvement de caméra, etc. ?

J’avais des correcteurs sur le film qui eux discutaient beaucoup. Il y avait donc des répétitions pour mémoriser le script, mais à aucun moment je n’ai dit aux acteurs qu’ils n’auraient absolument rien à dire durant le film et qu’ils devraient remplacer tous leurs dialogues avec le langage du corps, avec le regard.

Donc ce fut un énorme choc pour tout le monde mais c’est justement ce que je voulais. Je parle de solitude. Or la solitude n’a pas besoin d’être verbalisée - on peut la ressentir. C’est comme lorsque quelqu’un de culture chinoise dit « Je t’aime ». C’est un mot qui n’a pas été inventé par cette culture. Dans cette culture qui est la mienne, « Je t’aime » doit avant tout être montré. C’est un peu avec ce concept en tête que j’ai fait ce film.

I had correctors for that film and they were talking together. There were rehearsals, you know to memorize the script, but what I didn’t tell my actors was that during the film I wanted them not to speak that all but to replace the dialogue with their eyes and body language. So that was a shock to everyone but that’s what I wanted to achieve because I’m talking about loneliness and loneliness needs not be spoken - it can be felt. It’s just like when a Chinese culture person says “I love you”. It’s a word that wasn’t invented by our culture. In our culture, “I love you” is meant to be shown. I took this as a sort of concept and put it in the film.

Le personnage censé être adulte, Jung put-il être une version adulte des adolescents de 15 ?

On pourrait dire qu’il y a là quelque chose d’inconscient mais lorsque je regarde ce film avec du recul, je me rends compte qu’il existe des points communs entre les personnages de 15 et ceux de 4:30. Pour moi, c’est comme une évolution, une progression naturelle, quelque chose de très organique. Je ne m’y attendais pas mais c’est vrai que cela s’est traduit comme ça dans le film.

There might be some unconscious thing here but now that I look back into this film I realise that there’s a certain similar thread between the characters seen in 15 and now 4:30. To me, it’s a form of evolution, a natural progression, something very organic. It wasn’t expected but that’s how it was slowly translated in this film.

La relation père-fils semble complètement inversée dans 4:30 par rapport à Sons, votre court-métrage réalisé en 2000 ?

Oui, c’est vrai qu’en un sens, 4:30 est un peu la suite de Sons. Dans Sons on voit l’histoire vue du point de vue du père tandis qu’avec 4:30 l’histoire est vue du point de vue du fils. D’une certaine manière il y a cette connectivité entre tous mes films. Parce que pour moi, un film ne raconte pas seulement un histoire, c’est aussi une sorte de journal intime. Et parfois on revisite un moment particulier de sa vie ; on arrive même à résoudre des choses entre deux films. Mais c’est une très très bonne observation (rires).

Well yeah, to a certain extent 4:30 is a follow-ip to Sons. In Sons you see the father’s version of the story and in 4:30 you see the son’s version of that story. Somehow there’s this sort of connectivity in all my films. Because a film to me is not just story-telling but it’s like writing a diary. And sometimes you revisit a certain part of your life and even resolve things between two films. But it’s a very very good observation (laughing).

De quel élément êtes vous parti pour l’écriture du scénario ?

En fait la fin est venue en premier. Et ensuite, à partir de là, j’ai reconstruis toute l’histoire en arrière. Il fallait que je donne à ce garçon un moyen de s’en sortir, de s’ouvrir. Ce n’est qu’à partir de là qu’il peut commencer à faire quelque chose de sa vie. Comment atteindre son public ? Lorsqu’il s’attend le moins à ce que quelque chose arrive et que justement là un truc se passe. Je voulais donner cete impulsion à laquelle on ne s’attend pas et surprendre disons d’une manière subtile les spectateurs.

In fact the ending came first. And then I worked back up the whole story from that. I needed to give this boy an awakening. It’s with this that he can start something again. You attain the audience when they least expect that something is going to happen again but then ah ! something is happening again. I wanted to give a different spin and to surprise the audience in a sort of subtle way.

La forme cyclique du film s’applique jusqu’au moindre détail, comme pour la chanson du garçon du premier plan que reprend Jung en partant ?

Oui, complètement. Et quand on le voit quitter la pièce en chantant, vous avez vu ça, non ? Et bien, c’est comme une reconnaissance, un signe qu’il peut construire autre chose. Quand on prend deux personnages à problème, ils peuvent parfois ils se provoquent jusqu’à la rupture en créant un truc explosif qui les fait avancer dans leur vie, pour le meilleur ou pour le pire.

J’ai voulu créer quelque chose de positif, de rassurant pour ce garçon après avoir réalisé qu’il était complètement perdu, très triste (rires). Surtout lorsque (rires) durant le tournage, parce que j’ai véritablement vu le garçon grandir en même temps que son personnage. Il n’avait que 12 ans au moment où on a tourné et j’ai vraiment ressenti le besoin de le réconforter un peu (rires).

Yeah, exactly. And when you see him leave that place singing the song, you heard that ah ?! well it’s a form of acknowledgment and then he moves off to another place. When you see two disfunctioning persons together, sometimes they heat off, and create a sort of chemistry and then move on with their lives, for the better or for the worse. I wanted to give a certain kind of comfort to this boy that I created and later realized he was a very miserable and sad character (laughing). Especially so when (laughing) I was involved with the filming because you know I just saw the boy grow together with the character. He was 12 years old when we made the film and I really wanted to have a little comfort for him (laughing).

Comment avez-vous travaillé avec lui ? Avait-il beaucoup d’expérience déjà ?

Il avait surtout fait des séries tv, des comédies. Je l’ai repéré pendant que je travaillais sur une série de films d’horreur pour la tv. J’ai trouvé qu’il y avait dans son regard une mélancolie alliant innocence et maturité. Cela m’a beaucoup touché et je lui ai dit que je voulais écrire un film pou lui mais qu’il devrait rester exactement comme il était, parce que le film ne verrait pas le jour avant au moins deux ans (rires).

Je ne l’ai en fait jamais revu jusqu’à une semaine du tournage. A cause des délais au niveau de la durée du tournage, je suis resté avec lui durant le tournage. C’est comme cela que j’ai pu apprendre à le regarder, à vivre au quotidien avec quelqu’un de son âge. Une expérience assez traumatisante pour moi en fait ; cela ne m’était jamais arrivé de ma vie (rires).

He does tv shows, mostly comedies. I got to know him while working on a horror tv series. I casted him for the last episode of that series. I realized that his eye had that melancholy both innocent and yet mature at the same time. It moved me a lot and I told him ‘I want to make a film for you but you have to stay exactly the way you look now, except we won’t begin this film before two years’ (laughing). I didn’t get to see him only a week before the shoot. And time was running very short for me so we had to stay together in the same room. That’s how I learned how to observe him and how to stay and grow with a little kid, which was quite traumatizing for me, I’d never done this in my life (laughing).

Comme pour 15, vous êtes resté comme cela sans arrêt avec lui durant tout le tournage ?

Oui, exactement, durant toute la durée du film, soit environ 15 jours. Ce fut très rapide. Et certaines scènes ont été vraiment inspirées par lui, comme le fait de découper les cigarettes parce qu’il ne voulait pas que je fume, donc même sur le plateau je devais toujours les cacher. Il m’a vraiment rendu fou parfois. Ce n’est qu’à la fin du film que j’ai réalisé combien cette expérience a été importante et il me manque vraiment. C’est comme s’il m’avait fait comprendre que j’étais prêt à avoir un enfant (rires énormes).

Yeah, exactly, during the whole time, which was altogether about half a month. It was really quick. And some of the scenes are really inspired by him, like the cutting of cigarettes, because he didn’t want me to smoke and even on the set I had to hide my cigarettes. He really drove me crazy. And after the whole filming, I realized how important an experience it was and I really miss him. He made me realize that I was ready to be a father, you know (laughing out loud).

Comment avez-vous travaillé avec l’acteur jouant le rôle de Jung ?

Pendant le film, nous avons essayés de conserver dans la réalité ce qui se passait dans le film. C’est à dire que le garçon n’avait pas le droit de parler avec l’acteur coréen. Même moi, je ne lui parlais pas vraiment. Nous avions tout divisé en deux en fait. Mon assistant réalisateur s’occupait de l’acteur coréen tandis que je m’occupais moi du garçon. Ce n’est qu’au moment du tournage que nous nous retrouvions ensemble et là il se passait quelque chose.

Ils étaient très maladroits et ne savaient pas quoi faire. Même en dehors du plateau ils n’avaient pas le droit ne serait-ce que de se regarder. Ils devaient vraiment faire semblant qu’ils n’avaient rien en commun, qu’ils ne s’étaient jamais vus. Dès qu’ils se mettaient à parler de tout façon, la journée entière de tournage était annulée. Il fallait qu’il réalisent à quel point il était crucial pour eux d’être très pro sur ce point. Je voulais qu’ils fassent l’expérience de tout ça, non pas juste dans le film, mais dans la vie réelle, afin qu’ils puissent ensuite le faire vivre dans le film. Donc je pense qu’ils ont été très seuls (Rires énormes).

During the filming, we tried to keep the reality and the filming similar ; which means that the little boy wasn’t allowed to talk to the Korean actor and even I didn’t really talk to him because we had split the whole thing in two. My assistant director handled the Korean actor whereas I was in charge of the little boy. During the filming we came together and a very strange chemistry occurred because they were very awkward, they didn’t know what to do. And even as real persons when they saw each other on the set they weren’t even allowed eye-contact. They really had to pretend one didn’t exist for the other. And the moment they started talking we would cancel the whole shoot for the day. So that they would realize how crucial it was for them to be very professional about this. I wanted them to experience not just within the film but out there in life, and to bring it back into the film again. So I think both were very lonely (laughing out loud).

Cela a-t-il du coup créé beaucoup de tension sur le set ?

Oui, on se rend bien compte combien ces personnages sont maladroits. Il y a tant de choses qu’ils veulent dire mais qu’ils ne parviennent pas à dire. Je suis content car il me semble qu’on ressent tout cela dans leurs regards, sans qu’ils en fassent trop, sans qu’ils surjouent.

Yeah you can see a lot of awkwardness in the characters because there was so much they wanted to say but just couldn’t. I was happy because it translated really well when shooting them. All this appeared really well in their eyes, without overdoing it, overacting it I think.

Avez-vous tourné de manière chronologique par rapport au scénario ?

On a essayé de travaillé en séquences autant que possible. Mais certaines scènes nécessitaient beaucoup plus de préparation pour le garçon et on les a tournées à la fin. On a essayé de garder un rythme aussi régulier que possible, mais parfois cela dépendait de l’humeur du garçon (rires). Il avait ses propres idées sur pas mal de choses. Alors on a essayé de lui laissé son espace propre, pour qu’il puisse donner le meilleur de lui-même.

As much as possible we tried to work in sequences. But there were certain scenes which required a lot more preparation for the boy to feel for this man and we pushed them at the back. But we tried to keep it as constant as possible. Only, sometimes it depended on the little kid’s mood (laughing). Like he had his own ideas about things, you know. But we tried to let him have his own space to breathe, to bring out his best performance.

Que pouvez-vous dire sur cette magnifique scène où le garçon se cache et finit sous le bras de Jung ? Est-ce que tout a vraiment été tourné en un seul plan ?

Oh oui, toute cette scène a été tournée en un seul plan. Il n’y a pas eu une seule coupure. Il nous a fallu cinq heures pour tout répéter correctement. Parce que tout devait être fait selon un timing précis. Comme on tournait en 35 mm, on ne pouvait tourner que par tranche de 3 min 45 (le temps d’une bobine) donc le timing devait être extrêmement précis. Ce fut très difficile pour capter la bonne émotion. De tout le film, c’est une des scènes les plus délicates que nous ayons eu à filmer.

Yes it was. It was all done in one take. There was no camera cut. It took us five hours to do the rehearsal. Because everything had to be right in the timing, and because we were shooting in 35mm film, we could only shoot 3 minutes and 45 seconds so the timing had to be really sharp, and how to get the right emotion was pretty tough. It was one of the most difficult scene to shoot in the whole movie.

Le film possède une très forte cohérence des couleurs entre le vert et le bleu et un certain minimalisme de ton. Comment avez-vous travaillé avec le directeur artistique ?

J’ai travaillé avec le même directeur artistique que sur 15, donc il était habitué à mes manies. Je lui décrivais les différentes scènes de façon très abstraite. Je lui disais ce que j’attendais et il touchait toujours en plein dans le mille. Je lui ai dit que je voulais que tout soit dans les teintes de bleu, de vert et de vert foncé car je voulais que le spectateur se sente à l’aise mais d’une manière inconfortable. (...) Et la maison n’était pas réelle. C’était un centre d’accueil pour travailleurs immigrés que nous avons entièrement reconstruit.

I worked with the same art director that was already in 15 so he knew all my non-sense. I would always describe the different scenes in a very abstract way to him. I would tell him how I wanted things to be like and he would just find the perfect match. I told him I wanted everything to be blue and green and dark green in colour because I wanted the audience or the characters to feel comfortable in a very uncomfortable way.(...) And the house wasn’t a real house actually. It was a place for foreign workers and we started almost from nothing there.

La notion de frontière, physique, géographique et temporelle, entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, semble très importante dans le film, non ?

On peut regarder cela à deux niveaux. En tant qu’adulte regardant derrière soi, on voit les murs qu’on est parvenu à faire tomber et ceux que l’on contribue à bâtir autour de soi. C’est vrai que cette notion de limites en très importante à Singapour. On construit tellement de murs à l’intérieur de nous et l’on est tellement mal à l’aise que parfois on n’ose pas frapper à la porte ou au mur du voisin. On reste alors prisonnier.

On peut presque se prendre pour les plus fort du monde parce qu’on ne reçoit aucun coup, mais il n’y a même plus de vie, tout est asphyxié. Le plus important, pour moi, est d’entrer en communication avec les autres. C’est pour cette raison que le script était complètement en phase avec l’âge du garçon. C’était parfait de lui faire jouer ce rôle entre 12 et 13 ans, lorsqu’on se rend compte que quelque chose d’étrange vous arrive. Je voulais explorer ce sentiment-là.

You can look at this on two levels. As an adult looking back on your past, you see the walls you’ve broken down and those that you’re still building. There are indeed a lot of clear definite borders in my country and we all build so many walls inside ourselves and sometimes we are so worried that we don’t dare to knock on other people’s walls and become sort of prisoners. We might be some of the strongest people who don’t get hurt because of the walls that we create but it forbids things to happen. The most important thing is to have a basic communication with other people. That’s why the script came just at the right time for the kid. To get him to play this role at his age was perfect. At 12 or 13, you just feel that something strange is happening to you. I wanted to explore that feeling also.

Un sentiment d’étrangeté que ressent le spectateur vis à vis des deux personnages, foncièrement semblables et pourtant différents, non ?

Ils se sentent seuls tous les deux et je pense qu’ils ont tous les deux tendance à vouloir mettre fin à leurs jours. Une tendance suicidaire, donc, bien que la solitude soit à la source du problème. Et lorsqu’on parle de solitude on éprouve ce besoin immédiat de se rapprocher d’une personne.

Mais comment se rapprocher de quelqu’un lorsqu’on se sent vraiment seul ? Dans le film, j’ai essayé de me mettre à la place de ces personnages. Je me demandais « Qu’est-ce que je ferais si j’étais à leur place ? ». Alors je donne quelques pistes. L’homme coréen par exemple ne ferme jamais sa porte, comme s’il rendait possible, même si rien n’est dit, une forme de proximité, de communication.

Both feel lonely and I think both have a tendency of wanting to kill themselves - suicidal tendencies. But the source of the problem is loneliness. And when we talk about loneliness there is that instant need to get close to another person. But how can you connect with someone when you’re really lonely ? In the film, I tried to put myself in the position of these two persons. I would ask myself, « What would I do if I were them ? ». So I gave little hints, you know. Just like when the Korean guy never locks his door, almost allowing an opportunity to get close and to communicate, even though everything is unspoken.

Qui êtes-vous dans ces deux personnages ?

(Pause, puis rires) Un peu des deux je pense (rires). Mais beaucoup plus le garçon, sans doute (rires). On a tous un super-héros dont on pense qu’il va nous aider, et parfois lorsqu’il se présente on se rend compte qu’il n’est pas si parfait qu’on pensait. C’est peut-être une bonne chose au fond.

C’est aussi à cause de ses imperfections qu’on se sent attiré par telle ou telle personne. A la fin, au lieu que le héros ne vous prenne sous sa cape, vous vous retrouvez comme à égalité, ensemble simplement. Peu importe que ce moment soit bref, c’est quelque chose qui vaut la peine en soi, qui restera gravé dans votre mémoire, je pense.

(Pause, then laughing) A little bit of both, I think (laughing). But a lot more in the little kid (laughing). Everyone of us has a super-hero that we think could help us, and sometimes when the super-hero comes, one realizes that he’s less than perfect. It might not actually be a bad thing. It’s also because of his or her imperfections that we are driven close to someone. In the end, rather than a hero leading you, you end up holding hands with that person and getting together. No matter how short it might be, it’s still a journey that will not be forgotten I think.

Comme cette scène des escaliers où ils se retrouvent vraiment, habillés de manière identique, le corps comme seul outil possible de communication . Comment le tournage de cette scène s’est-il passé ?

Cela a été une des scènes les plus difficiles à tourner du film. On a passé une journée entière à la préparer. Cette scène correspondait aussi à la partie la plus dialoguée du script. Les acteurs devaient communiquer sans prononcer une parole, simplement en se regardant, à travers le langage du corps. Il y avait donc une alchimie particulière à créer parce que j’attendais d’eux une disponibilité totale à chaque instant, et je ne voulais pas leur dire comment faire.

It was one of the most difficult scene and we spent the whole day trying to do that one scene. It was also the most dialogued segment of the script. The actors had to communicate without talking, just by looking at each other, using body language. So that was a very tough chemistry because I wanted instant reaction from them every time, and I didn’t want to tell them what to do.

Comment avez-vous répété la scène ?

Il y a juste eu un court briefing, du genre voici le timing, vous devez faire telle et telle chose à tel instant, c’est tout. Nous avons commencé à tourné juste après le briefing afin que les réactions soient les plus vraies possibles, et ce fut la seule séquence du film où cinq prises furent nécessaires. La plupart du temps, il n’y avait que trois, quatre prises tout au plus. Je voulais donner à l’ensemble une tonalité très spontanée.

There was just a briefing, like this is the timing and you have to make sure that you do this at this particular time and that’s it. We started rolling right after the briefing to get that instant reaction from them, you know. And it was the only segment for which we did five takes. Most of the time it wasn’t more than two or three takes. I wanted to keep things very spontaneous.

Est-ce pour rééquilibrer le sentiment d’enfermement que vous passez par les scènes en extérieur du trajet vers l’école et du rapport à l’autorité ?

Les scènes de l’école doivent montrer au spectateur comment ce personnage enfermé en lui-même peut réagir à l’extérieur, dans le monde réel. Est-ce qu’il devient quelqu’un d’autre ou est-il fidèle à lui-même ? Il se protège en fait assez bien. Comme lorsqu’il s’oppose à sa professeur. Il est capable de se tenir debout, de protéger ce qui est important à ses yeux.

I had the school scenes to show the audience how this confined character reacts in the outside, in the real world. Is he another person or is he still kept to himself. He actually protects himself very much from the environment. Just like when he opposes his teacher : he’s able to stand on his own, to protect himself and what is important to him.

A l’inverse de Jung ?

Oh oui, Jung est un looser-né (rires énormes). Ce qui est très beau en un sens, parce que lorsque quelqu’un est parfait, il n’y a plus rien à dire. Alors que lorsqu’il ou elle est imparfait(e), le non-ditvous parle et révèle de cette personne quelque chose de beaucoup plus subtile. Quand l’acteur coréen me demandait « Qui est-ce que je suis supposé jouer dans ce film ? » je lui répondais qu’il n’avait qu’à jouer un looser (rires), rien d’autre qu’un looser (rires).

Oh yeah. Jung is just a born-looser (laughing out loud). Which is beautiful I think, because when somebody’s perfect, there’s just no discussion. Whereas when somebody’s imperfect, in a most unspoken way, it tells you something in a very subtle way, which is more remarkable. When the Korean actor asked « Who am I suppose to act in this film ? », I would just answer (laughing) a looser, just a looser (laughing).

C’est pourquoi vous l’avez pris au casting ?

En réalité je l’ai pris justement parce qu’il n’avait jusqu’alors fait que des comédies, très formatées en plus. Donc je me suis dit voyons comment il peut s’en sortir. Au final, je suis très content de ce choix. Il était très stressé par le garçon qui faisait tout dès la première prise. Lui avait souvent besoin de plus de temps pour être prêt.

Ce type de compétition s’est avéré très sain pour le film, car il était vraiment perdu, très confus. A la fin du film, il était son personnage. Je pense qu’il est parfois bon de forcer des acteurs à se confronter à leurs peurs et à ce qu’ils ont toujours tenté de fuir. Donc ce fut une sorte de bataille psychologique assez intense pour chacun d’entre nous (rires énormes).

Well it’s funny but I actually casted him because his whole life as an actor, he had only done comedies, and really slapstick ones. So I thought, let’s see how he can deliver this, and he was a very good choice. He was very stressed by the little boy because the boy did almost everything in one take whereas he always needed more time to get things right. And hat kind of competition was very healthy for the film, because he was actually getting lost and very confused. At the end o f the shoot he was the character. I think it’s sometimes good to force your actors to confront their fears and what they’ve always been running from. So it was almost a big psychological exercise for everyone of us (laughing out loud).

Qui est Eric Khoo pour vous ?

Il est celui qui m’a forcé à faire du cinéma. Je passais mon temps à l’éviter (rires) et puis un jour il m’a appelé et il m’a dit « Royston, j’ai suivi tes courts depuis six ou sept ans et il faut que tu finisses ce film. On m’a dit que tu avais besoin d’argent. Le voilà. Je te le passe à condition que tu le finisses. » J’ai répondu que j’allais le faire.

Je suis un grand fan de 12 Storeys. A cette époque, il y a bientôt dix ans, ce film décrivait très bien notre société. Et je voulais reprendre cela, comme en hommage à l’impact que le film a eu sur moi. C’était naturel, en quelque sorte. Il m’a dit « Voici l’argent. Prends-le et utilise-le. Je ne vais pas interférer en quoi que ce soit. » Ce qui était formidable. Notre relation est très étrange, très bizarre, un peu comme celle des personnages du film. Il n’a pas besoin d’en faire beaucoup : on grandit à son contact.

He’s the person who forced me to make movies. I’ve been running away from him but (laughing) one day he called me and said « Royston I have followed your short films for the past six or seven years and you must finish this film. I’ve heard you needed money. Here it is. I’m going to give tit to you provided you finish it ». And I said OK I’ll do it. You know I’m a big fan of 12 Storeys. At that time, almost ten years ago, it depicted very well our society. And I wanted to pick that, as a form of remembrance of what the film did to me. It was all natural. He told me « This is the money. Take it and use it. I’m not going to interfere ». Which was great. Our relationship is very strange, very bizarre, maybe like the characters in the film : he doesn’t have to do much, you sort of grow from him.

Pourquoi avez-vous repris cette séquence-là en particulier de 12 Storeys ?

C’était important de montrer comment le garçon survit en dehors et à l’intérieur de chez lui. Je voulais donner au spectateur de petites pistes, des détails principalement, sur son comportement, ses réactions, ce qu’il pouvait ressentir, quel type de disputes il aimerait avoir un jour. Cette scène en particulier est quelque chose de très parlant sur ce qu’il pourrait devenir plus tard. C’est une petite indication, un petit truc que le spectateur peut prendre au vol pour découvrir un peu mieux ce garçon.

It was important to show how the little boy survives outside as well as inside his own house. I wanted to give the audience little hints, details mostly, about his psychological behaviour,whathe could be feeling, what sort of argument he might want to have one day. That particular scene is a very good telling sign of where he will be heading next. It’s like a small clue, one of the small hints the audience can go and pick up to find out a little bit more about the boy.

Ce travail d’échos, de signes, de boucles résonnant d’un personnage à l’autre est très important et fait la richesse du sous-texte du film. Lily, de 12 Storeys, représente de manière inversée sa véritable mère qu’il double dans une scène de dispute qu’il rêve d’avoir avec elle, non ?

C’est très bien vu de votre part (rires). Après 15, j’ai ressenti le besoin de me lancer un défi encore plus important. Lorsque j’ai réalisé que je n’avais aucun effet spécial, aucun élément dramatique à travailler, le script était la seule chose qui me restait.

J’ai du changer ma manière de raconter des histoires pour donner de la matière au film. Non pas à travers de belles images ou des effets spéciaux, mais par l’histoire elle-même. J’étais très heureux d’avoir en face de moi quelque chose de complètement différent, et peut-être que je vais continuer dans cette voie avec mon prochain film qui, je vous le promets, sera plus rapide (rires).

I feel very happy when I make films and people like you watch them (laughing). After 15 I felt the need to challenge myself even more. When I realized I had no special effects, no dramatic elements to work with, the only thing to work on was the script. I had to change my story-telling skill to give texture to the film not through beautiful images or special effects but through the story itself. I was really happy to have something completely different, and maybe it’s going to be carried forward in my next film, which I can assure you is going to be faster (laughing).

Est-il déjà écrit ?

Oui, pourl’instant il s’appelle Smell. C’est à propos d’un type ayant la trentaine dont tout le rapport au monde est basé sur l’odorat. Peut-être que je vais en finir avec ce cycle de l’adolescence, l’enfance, et maintenant l’âge adulte. Et il y aura aussi un personnage féminin dans ce film, enfin (rires).

Yeah, it is. It’s called Smell and it’s about a thirty something years old person and the very strange relationship he has with someone through smell. So maybe I’ll finish this teenager, childhood, and now adulthood sort of cycle. And you will see a female character in this film too (laughing).

Dans leur forme, ces deux derniers films sont à des extrêmes opposées l’une de l’autre. Un cinéma de l’ultra-contemporain avec 15 contre l’extrême classicisme de 4:30. Votre nouveau film sera-t-il quelque part dans l’entre-deux ?

D’une certaine manière, oui. C’est une combinaison entre 15 et 4:30. L’intimité sera toujours présente, l’interaction entre les personnages aussi. Mais cette fois ce sera à travers l’odorat. Comment créer l’odorat, comment amener le spectateur à sentir, en mixant la prédominance visuelle de 15 et une narration alternative plus proche de 4:30. J’avais cette idée de la communication à travers l’odorat. Comment cela peut déclencher des choses en nous.

In a certain way, yes, it’s a combination of 15 and 4:30. The intimate feeling is still going to be there, the interaction between the characters. This time I’ll be dealing with Smell. How do I create smell, how do I let the audience smell, and sort of mix the visuals present in 15 and an alternative way of story telling, closer to 4:30. I had this idea about smell you know, communication through smell. How smell can trigger out things in our minds.

Est-ce comme en amorce de Smell qu’il y a cette scène où le Xao-Wu s’attarde sur une odeur puis écrit dans son journal tout une série d’associations liées à l’odorat ?

Exactement. J’aime toujours donner une indication de ce qui va se trouver dans mon prochain film. Comme dans 15, où la dernière partie était volontairement très lente. Ce sont des signes épars comme ça. En réalité, je n’ai pris conscience de tout ça qu’avec la projection ici de tous mes courts. C’est comme si tous les personnages prenaient sens les uns par rapport aux autres. C’est incroyable de voir ça. En créant quelque chose on ne se rend pas toujours compte à quel point on peut raconter encore et toujours la même histoire. C’est un peu étrange et à la fois très excitant (rires).

Exactly. You know I always like to give a little hint of what is gonna come in the next movie. Just like in 15, the last act was deliberately slow, a great deal. So there are theses scattered signs. Actually I hadn’t realized it before I saw the other day the whole body of my shorts here. And it seems all the characters are taking form in relation with each other. That was amazing. Sometimes when you do a piece of work you don’t realize to what extent you could just be telling the same story over and over again. It’s sort of weird and exciting at the same time (laughing).

Cette relation entre les deux personnages reste très ambiguë. Certains misent sur une relation père-fils, d’autres sur la naissance de l’homosexualité, mais peut-être vaut-il mieux ne pas choisir, laisser l’incertitude résonner ?

Oui, c’est quelque chose qu’il est important de laisser au public. Le but est de créer un espace suffisamment ouvert pour que chaque spectateur y trouve sa place. Parce que des publics différents auront une sensibilité différente dans l’analyse. L’espace doit être assez ouvert pour permettre des interprétations variées.

Une analyse très limpide est en générale piégeuse, souvent très éloignée de ce qui se passe au niveau émotionnel. J’aimerais que le spectateur se demande si le mot homosexualité n’avait pas été inventé, qu’est-ce que cela recouvrerait, qu’est-ce que cela signifie ? Donc l’idée est vraiment de laisser advenir ses personnages. Je ne veux pas les tuer d’un coup comme ça. Ils doivent advenir.

Yeah, well it was something we wanted the audience to discuss. The aim is really to create enough room for he audience to fill themselves in. Because different audiences have different sensitivities in analysing things. There has to be a sufficient room for different interpretations. A very clear analysis is usually tricky, somehow completely different from the emotional connection. I would like to ask the audience if the word homosexuality hadn’t been invented, what would this be then, you know what is this ? So the thing is to let the characters grow, I don’t want to kill them just like this. They have to grow.

L’âge des personnages se rapproche donc de vous de film en film ?

Oui, bon, c’était assez marrant d’avoir à prévenir le public de jeunes au look punk-rock venu aux premières projections de 4:30 pour voir une suite de 15 ou quelque chose de très proche. J’aime que les spectateurs puissent découvrir d’autres univers, d’autres personnages, à des âges différents de la vie. Et oui, c’set juste, le prochain film sera une version « adulte » plus proche de mon âge, en réalité un peu plus âgé que moi. Mais je pense que la souffrance et la solitude sont des choses universelles. Chacun peut en faire l’expérience.

Well yeah, you know. It was funny how in the first screenings I had to tell the young audience, punk-rockers and all, that this would not be 15 part II (laughing). I like to let the audience see different stages of life or different characters. And yes the next film will be a grown-up version closer to my age, actually older than me. But I think pain and loneliness are universal. They can be felt by anyone.

Une des phrases récurrentes de 15 était « Don’t think about the pain, and it won’t hurt ». Quelle serait la phrase qui conviendrait le mieux à 4:30 ?

Oh, très bonne question. Mais (longue pause) je ne peux pas répondre. Je dois y réfléchir (rires). Je pense que dans ce film il y a des mots invisibles que je n’ai pas encore trouvés. Mais ici ce n’est pas une phrase, plutôt une émotion. Lorsque j’ai fait le film, la question que j’avais d’abord en tête était de savoir ce que serait le monde, comment nous ferions pour communiquer s’il n’y avait plus de mots. Ce serait à travers le regard. Et l’œil peut dire beaucoup. Quand je suis allé voir mes bailleurs de fonds, ils m’ont d’abord dit que j’étais fou. Et puis « Une fois encore, nous aimons travailler avec les fous. Vous avez frappé à la bonne porte. » (rires)

Oh, well. That’s a very good question but (long pause) I cannot give an answer. I have to think about this (laughing). I think in this film there are invisible words I have to find. But here it’s not a sentence, but an emotion rather. When I made the film, the fist thing that came to my mind was what would this world be, how would we still communicate if there were no words ? It would be through the language of the eye. And the eye speaks a lot. And when I said that to my investors, they told me I was crazy. And then « Once again we like to work with crazy people. You’ve got a contract ».

Celluloid dreams ?

Oui. Je les ai tout de suite prévenu : « Ce film risque de ne pas rapporter beaucoup ». Mais je ne voulais pas mentir, mais c’est un film crucial pour moi, en tant que personne, et peut-être aussi pour certains spectateurs.

Yeah. And I told them right away : « This one film may not make lots of money, you know ». But I didn’t want to lie, but it’s a film that’s crucial for me, as a person, and maybe to some audience.

Le personnage de Jung, dans 4:30 est d’une certaine manière sourd et aveugle. Est-ce là de votre part un hommage conscient à Theresa Chang de Be with me ?

Oh oui, très bonne question. En fait, voilà l’histoire. Eric Khoo et moi étions en avion vers l’Angleterre. Nous parlions du prochain film que nous allions faire. Et l’idée nous a frappé que nos précédents films étaient tous deux à leur manière assez bruyants. « Et si l’on faisait le film le plus silencieux de l’histoire du cinéma de Singapour ? ».

Et il se trouve que les deux films ont comme un lien entre eux, une proximité. Ils devaient d’ailleurs au départ sortir en même temps, mais comme mes investisseurs sont arrivés un peu plus tard, Be whith me est sorti huit mois avant 4:30. Mais je pense que ce sont des films-jumeaux. Et comme mon film est plus silencieux que Be with me, c’est donc moi qui gagne (rires).

Oh, that’s a very good question. Liste, that’s how the story goes. Eric Khoo and I were on the plane going to U.K. And we were talking about the next film that we were going to make. And the idea came that our previous films were both very noisy. « How about this, we do the quietest film in the history of Singapore ? » And it turned out that both our films eventually have that sort of relationship with one another. And they were supposed to be coming out at the same time, but because my investment came in a little bit later, Be with me came out eight months earlier than 4:30. But they’re actually two sister-films together. And I think my film is quieter than Be with me, so I win (laughing).


Stéphane Mas