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Elizabeth : L?age d?or - Shekar Kapur
Mélodrame guerrier au coeur de la couronne





Dix ans après avoir dépoussiéré le drame historique par des dialogues assassins et un rythme autrement plus nerveux, Shekar Kapur remet à nouveau le couvert mais la fête est plus triste. L?histoire revisitée par un cinéaste en mal de bollywood laisse derrière elle un exercice de style au conformisme décevant. Portrait d?une femme en pré-ménopause pour une épopée sans partage entre le bien (l?Angleterre protestante) et le mal (l?Espagne catholique). Un film bavard et grandiloquent malgré des actrices de toute beauté.

Spectacle et grandes casseroles contre pierres protestantes.

A force de vouloir bien faire, Shekar Kapur semble avoir raté sa cible. Faut-il à ce point ressentir le besoin d?être accepté, assimilé, considéré comme membre à part entière de la grande famille d?Angleterre pour livrer exactement le film qu?on attend de vous ? Prenant le sillon de Stephen Frears (The Queen) pour faire de la reine une femme ordinaire - donc proche du peuple - Shekar Kapur manque la trace et finit par noyer son script manichéen au large des côtes normandes dans sa propre folie des grandeurs.

Un coup dans l?eau mais d?un splash aussi assourdissant que la musique omniprésente du film. Tout ne serait donc qu?une question d?échelle. En voulant jouer à la fois sur le faste et l?intime, Shekar Kapur fond l?un à l?autre avec déséquilibre et maladresse. Tandis que The Queen brillait par son exploitation du silence et de l?implicite, Elizabeth s?effondre en voulant tout montrer. Pourtant, la couronne d?Angleterre avait rarement été filmée avec autant de justesse dans cette étrange alliance propre aux cours protestantes - d?un côté la richesse des parures, robes et coiffures, de l?autre le dénuement des murs de pierre qui semblent cerner Elizabeth de toute part.

Elizabeth coupée en deux - Entre la femme et la reine, le père et l?amant.

Ce paradoxe de l?isolement au milieu de la multitude (caractéristique du pouvoir) se double de l?éternel conflit entre l?être et le paraître. Car l?âge d?or importe moins ici que la fuite de l?âge, du temps, des amours et des rêves qui hantent Elizabeth. Lorsque le film feint d?osciller entre la reine et la femme, c?est en réalité cette dernière qui tient les cordes. Comment rester femme quand il faut être reine ? Cinéaste malin, Shekar Kapur passe par Elizabeth pour faire un film sur Lady Di. Entre les intrigues du pouvoir et celle du cœur, Kapur a donc choisi son camp.

Pourtant, Elizabeth tient toute sa structure de cette dichotomie entre désir et pouvoir. Laquelle est incarnée par les deux rôles masculins s?adressant l?un et l?autre respectivement à la femme et la reine. D?un côté Walsingham, (excellent Jeffrey) Mazarin d?outre manche pris dans l?ombre et le sang des arcanes du pouvoir. De l?autre Walter Raleigh (très mauvais Clive Owen), l?aventurier de retour d?Amérique ranimant chez dame Blanchett le désir mis en glace par sa fonction de reine.

L?effet symétrique du miroir placera aussi deux femmes aux côtés d?Elizabeth. Deux relations fluctuant au gré des rapports d?éloignement et de proximité qu?impose à tous son statut. Deux femmes tout autant opposées que leurs doubles masculins. Alors que Bess - sa favorite - écoute les confidences de la femme, Marie Stuart - sa cousine emprisonnée - cherche en sous main à lui ravir son trône.

Tentation, jalousie, trahison. Elizabeth avait par ses motifs le potentiel tragique des drames de Shakespeare venant cintrer l?humain dans l?étau du pouvoir. Malheureusement, l?outrance sentimentale s?accorde mal aux bascules de l?histoire. Les dialogues poussifs et l?épaisse couche de mélo l?emportent vite sur la grâce naturelle de Blanchett. Sans nuance dans la douleur comme dans l?action, Shekar Kapur met en scène une lutte du bien contre le mal rappelant davantage les drames guerriers de Mel Gibson que les films de Dreyer.

Orgueilleuse et vulnérable - Elizabeth ou le mélodrame guerrier.

La structure était pourtant solide. Le déchirement d?Elizabeth entre la femme et la reine répond dans un miroir à celui du royaume entre catholiques et protestants. Quoi de plus normal ? La reine incarne, personnifie l?Angleterre. Meurtrie de ne pouvoir être femme, jalousant la jeunesse de sa favorite, Elizabeth version Kapur se trouve au bord du gouffre, fragile et vulnérable. Une faiblesse qui deviendra bientôt sa plus grande force, lorsque le temps sera venu d?affronter l?imposante armada espagnole.

La grandiloquence du film sert alors son propos. Le lyrisme appuyé du mélo cède la place à l?épopée guerrière. Les scènes de batailles navales s?avèrent parfaitement réussies. La silhouette droite et rigide d?une reine prisonnière de sa citadelle gothique vole complètement en éclats. A présent couverte de voiles, pieds nus, majestueuse et sauvage, ses cheveux débordant de l?armure, Elizabeth soulève son armée vers un ultime combat.

Splendeur d?actrices et piège du manichéen.

Shekar Kapur joue l?outrance sans peur et sans reproche. Eclairs, coups de tonnerre, orchestre surpuissant, le message ne peut être plus clair. Nous sommes sortis de l?histoire pour toucher au divin. S?il se soucie peu de la fidélité historique, du moins le cinéaste respecte t-il l?esprit d?alors - la reine descend directement de Dieu. L?histoire fera le reste, par la victoire du bien (protestant) sur le mal (catholique). Et cette croisade manichéenne devient aussi la défaite de l?extrémisme religieux (l?inquisition de Philippe d?Espagne) contre la sagesse de la raison (Elizabeth reine d?Angleterre).

La posture est certes séduisante. En conférence de presse, Kapur rapproche d?ailleurs de manière explicite l?intégrisme de Philippe d?Espagne à celui du président Bush. Une pose de cinéaste engagé faisant doucement sourire, et qui compense mal l?épaisseur des dialogues, la mise en scène appuyée, l?assourdissante partition de l?orchestre. Un mélodrame très old school pour un duo Blanchett/Morton de magnifiques actrices jouant la fièvre au sang pour trancher les têtes de l?histoire.


Stéphane Mas


 

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