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El Baile Rojo (La danse rouge) de Yezid Campos Zornosa / Callaron a humbre (Ils ont fait taire un homme) de Nicolas Joxe
Narcotrafic et dépendances





Evoquer la Colombie revient souvent à parler football ou poudre blanche. Délaissant la balle ronde pour s’occuper de celles qui traversent les corps, Nicolas Joxe et Yezid Campos Zornosa ajoutent au blanc de la palette rouge sang et kaki militaire. A travers deux films projetés au Filmar en America Latina de Genève, les documentaristes évoquent derrière la vitrine démocratique colombienne cinquante ans de terrorisme d’état via le paramilitarisme, entre guerre sale et immunité politique.

L’histoire colombienne contemporaine commence au lendemain de l’après guerre avec l’assassinat du candidat progressiste aux présidentielles Eliecer Gaitan. L’insurrection populaire qui est découlera entre 1948 et 1953 se termine dans le sang. Elle inaugure la période d’Alternance Présidentielle pendant laquelle, jusqu’en 1974, conservateurs et libéraux confisquent tout à tour le pouvoir, usant d’un présidentialisme ultra-autoritaire servi par une armée toute puissante.

En réaction, l’organisation des forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) est crée en 1967. Un mouvement de guérilla servant de prétexte à l’état pour mettre en place sa doctrine de Sécurité Nationale, soutenue activement par des Etats-Unis prêts à tout pour empêcher le basculement du pays aux mains des communistes. Des groupes de paramilitaires sont montés pour lutter face aux Farc. D’abord financés par les grands propriétaires terriens, les liens que ces paramilitaires entretiennent avec l’armée, le narcotrafic et l’état s’avèrent souvent obscurs. Peace Brigades, Human Watch, Amnesty. Une petite danse de rapports entre couloirs, conventions et cabinets, inoffensive à en désespérer.

Derechos humanos : muertos.

C’est à cette collusion qu’intervient le travail des documentaristes. Si la télévision est noyautée par l’état, reste le cinéma pour dire. Recueillir une parole afin de tracer des lignes, montrer, expliquer, dépasser l’indifférenciation de la violence qui depuis près de cinquante ans frappe la Colombie dans un jeu de massacre collectif. Avec El baile rojo (Le bal rouge) Yezid Campos Zornosa rend hommage à quelques unes des 4000 victimes des meurtres commis à l’encontre des militants de l’Union Patriotica, mouvement de la gauche colombienne, dont deux candidats à la présidentielle, supprimés d’un trait comme les autres.

Tuer des corps pour les faire taire. Liquider toute manifestation d’opposition, au sens le plus littéral du terme. Militants de gauche de l’Union Patriotica, syndicalistes gêneurs, paysans refusant de céder leurs terres : même combat, même méthode. Sans possibilité de répondre, les corps tombent ou s’exilent. Une manière de procéder à tel point systématique qu’on peut parler d’extermination.

Ceux qui en réchappent ressemblent à des fantômes ne touchant terre que d’une jambe. Yezid Campos Zornosa filme ces fantômes, des proies faciles, des exilés. Il filme des familles de victimes gagnant leurs procès contre le gouvernement pour non-assistance à personne en danger, tandis qu’autour on continue de décimer sans crainte.

Cette violence meurtrière à l’œuvre en plein Bogota vis à vis des opposants politiques est identique à celle en vigueur dans les campagnes. Nicolas Joxe place sa caméra de face. Sous couvert de lutte contre la guérilla des FARC, les paramilitaires font régner la terreur en s’appuyant sur quatre piliers : assassinats, torture, massacres et disparitions. Une forme de génocide face auquel le documentariste ne place qu’une parole : celle de ceux qui, d’exil ou de l’intérieur, au péril de leur vie, continuent de mener la lutte.

La guerra sucia.

L’Union Patriotica ne propose qu’une issue politique, une sortie par le vote, par la parole, quand le carnage se propage aux deux côtés. S’asseyant sur leurs idéaux politiques, les FARC généralisent les enlèvements de personnes et s’adonnent au narcotrafic de la même manière que les paramilitaires qu’ils combattent.

Nicolas Joxe évoque la mécanique invisible qui se déploie : des militaires du gouvernement qui s’avancent dans les régions supposées abriter des contingents des FARC pour entamer un travail d’éclaireurs. Quelques jours seulement avant que les paramilitaires, sensés n’avoir aucun lien avec eux, ne débarquent sur place et se livrent à des massacres. Les déplacements de populations qui s’en suivent permettent de récupérer des terres que les paramiltaires utilisent ensuite pour le narcotrafic. Une boucle rouge et blanche bien bouclée.

Petits arrangements, grande terreur.

Trois cent soixante mille indigènes sont déplacés de l’intérieur. Trois millions de personnes sont contraints d’abandonner leurs terres. Vingt-cinq millions de colombiens vivent dans la pauvreté. Le président Alvaro Uribe Velez, issu de la droite ultra, met tranquillement en place un arsenal de directives néo-libérales, avant d’adopter des mesures d’impunité pour protéger aussi bien les chefs paramilitaires que les hauts-gradés de l’armée d’Etat qui les soutiennent et les financent.

Il est donc un pays où l’on séquestre plusieurs mois des otages avant de les rendre dans des sacs à leurs familles, où l’on croise au hasard des prime time télévisuels un certain Carlos Castano, chef paramilitaire des AUC (Autodéfenses Unies de Colombie) expliquant à des speakerines botoxées combien son travail d’anti-subversion civile est nécessaire. Les dents blanches et saillantes, on le voit rire et boire, avant d’apprendre dans une dépêche de presse que les FARC viennent d’être inscrites sur la liste américaine des organisations terroristes vilaines et très méchantes de l’axe du mal. Quelques lignes blanches dans le meilleur des mondes.


Stéphane Mas


 

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