Art | Bien profond | Ciné | Livres | Musik | Liens



Lambchop live ! Festival de La Bâtie.
Soul from the crypt.





La casquette bleue irrémédiablement vissée sur la tête, on confondrait facilement Kurt Wagner avec un service man d’une station d’essence de l’Indiana. La musique de Lambchop, simple et soyeuse, sorte de soul prise en fin de nuit, complètement abattue, puise ses racines dans une Amérique middle class très proche de Carver pour les textes et de Lee Hazzlwood ou Reuben Bell - entre autres - pour la musique. Des histoires de rencontres, de rendez-vous ratés, d’amour et de manque à dire, comme un long siège autour d’une femme. Sur scène, Lambchop s’accorde au mieux à l’esprit Bâtie : excellence et minimalisme en pointe.

Etonnant contraste donc que de croiser cet univers d’une Amérique peuplée d’amants un peu perdus, de losers compréhensifs, dans un petit théâtre raffiné du centre de Genève. Etonnant d’entendre là, entre dorures et sièges de velours, ces histoires simples et quotidiennes qu’on imagine plutôt vissées au fond d’un bar au trois quarts vide de l’Arkansas, pour un slow contest de la nuit la plus longue.

Théâtre de l’intime et petite claque en apnée.

Etonnant et réussi, puisqu’au décor comme en musique, l’intimité, la délicatesse restent toujours de corde, en plein sur le fil. Qu’on mesure à l’architecture, à la tonalité, au tempo de tous ces morceaux, et l’on s’aperçoit vite que presque rien ne bouge au fond chez Lambchop, rien sinon quelques variations de surface. D’où vient alors qu’on se laisse prendre à chaque fois, emporté sans effort ?

Peut-être est-ce dû à leur manière de retranscrire sans pose un certain mal d’aimer, une mélancolie poisseuse. Ou peut-être s’agit-il de cette force étrange propre au type qui malgré sa raclée revient tendre la joue, tenter sa chance une dernière fois, juste pour voir.

Ce type s’appelle Kurt : un physique assez massif, le visage presque entièrement caché par l’ombre de sa visière, et une façon de plonger dans ses chansons, de descendre en apnée, le Mayol bien calé sur l’épaule. Un type penché sur sa demi-caisse dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est à fond dedans. A l’inverse lorsqu’il ne chante pas, Kurt semble un peu perdu, le nez dans les feuillets qu’il étale sur un pupitre comme s’il craignait en plein concert d’être frappé d’amnésie.

Les autres sont moins farouches : un batteur aux lunettes de soleil plaquées dans les cheveux, un pianiste easy going, un guitariste quasimodo la tête dans les épaules s’attelant dans son coin de donjon à mettre un peu de brûlure à tout ça.

Kurt(z) back from The darkness.

Car si Kurt a les ténèbres qui démangent, relié en petites touches par un très beau piano jazz accoustique, c’est aux guitares que Lambchop cuit son bout de gras. Le t-shirt jaune serré sur la taille, l’injonction merge de leurlabel inscrite en large comme en adresse explicite à ses partenaires, il bat ses cordes, en tire des sons, des accroches minuscules, des pointes qui suintent une soul classée grand cru. Des tresses de bouts de cuir qui volent, emmenant les ballades de Kurt secouer leurs hanches dans l’arrière salle d’un bouge reconquis par les noirs.

C’est là bien sûr que le plaisir déborde. Lambchop, plus que jamais est un grand groupe mineur. Leur musique, un bloc de soul ralenti, cloué au sol par la chaleur et l’épuisement, est tout entière dans la voix de Kurt Wagner. Un savant mélange d’épanchement et de retenue qui fait de ce love blog songwriting en raffinage depuis des lustres un plaisir ressemblant fort à de la grâce.


Stéphane Mas