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Stephen Malkmus live !
Icône underground, l’art du Phoenix





La question entourant la réapparition de Malkmus sur les platines n’était pas sans susciter de vives inquiétudes : que peut-on attendre d’un type qui a réjoui nos oreilles pendant les années 90 au sein d’un des meilleurs groupes rock de la décennie passée ? Si les déceptions sont souvent au rendez-vous, tendance Sonic Youth en pleine maturité, l’ex-Pavement remet vite les pendules à l’heure pour son grand oral. Dans la foulée de l’excellent « Face the Truth », il nous délivre un set en forme de grand écart où les dérapages incontrôlés d’un rock toujours plus inventif et tortueux font bon ménage avec une pop lumineuse et déliée qui largue définitivement les amarres d’un passé exhumé et assumé.

Sortir du souterrain : different but the same

Affrontons la vérité. Le retour de Malkmus sur scène fait figure d’évènement. Quatre ans après le précédent exercice et le sous-estimé album éponyme accueilli alors avec réserve, rendez-vous était pris avec le bonhomme, pour tester la valeur live d’un nouvel album tenant toutes les promesses d’un rock lunaire prenant volontiers les chemins de traverse délaissés par une nouvelle vague rock calibrée pour l’easy listening.

Avec sa tête d’éternel adolescent, et le souvenir de feu Pavement en bandoulière, Malkmus ne s’embarrasse pas de préalable et nous embarque illico dans sa galaxie américaine, songwriting ciselé, où les envolées mélodiques et vocales le disputent à des compositions savamment élaborées qui guettent la moindre occasion pour prendre la tangente et finir débraillées au coin de la scène.

Rock’n’roll phase 2 - Ignition

D’ailleurs, pourquoi perdre son temps ? La bassiste anticipe l’esprit général et œuvre pieds nus telle une comtesse déchue troquant la coupe de champagne pour une bière bien fraîche. La complicité qui unit ces deux-là fait mouche d’emblée et donne un caractère évident et entraînant aux pépites que le groupe déroule tranquillement. D’un « Pencil Rot » débarrassé d’un clavier un peu trop omniprésent sur l’album mais aguerri par des guitares aiguisées, à un « Baby C’mon » rageur, le groupe change de braquet pour un décollage imminent et nous propulse dans une pop éclatée, laissant apparaître une ligne d’horizon non dénuée de turbulences, mais teintée d’un onirisme en apesanteur.

Délaisser les grands axes, choisir la contre-escarpe

Car si Malkmus déroule sa science des combinaisons retorses mais jamais brouillonnes, il ne rate pas l’occasion de faire rugir sa Gibson, l’objet culte vaut bien un baiser, et d’emballer l’audience à coup de déhanchements savamment distillés laissant les corps estourbis après le passage d’un « I’ve Hardly Been » survitaminé.

Mais si la petite troupe montre que question décibels et énergie, elle peut faire jeu égal avec la floraison de petits cousins rock qui essaiment depuis peu, elle ne se contente pas de ce minimum syndical mais trouve bien son originalité dans sa capacité juvénile à casser le moule, à semer des chausse-trappe partout où l’on ne les attend pas, une aptitude à fendre le canevas de l’éternel guitare-basse-batterie pour l’enrichir d’un imaginaire qui marie volontiers le bricolage et l’accident.

Pierrot lunaire en apesanteur

Si l’épreuve du feu ne s’avère être qu’une formalité sous les doigts impatients des californiens, elle ne les empêche pas d’afficher décontraction, affabilité et complicité avec le public, private jokes et français hésitant à l’appui. Avenant, le set ne peut prendre alors qu’une dimension rêvée lorsque l’heure est venue d’égrener ça et là des ballades d’une éblouissante simplicité. Autre marque de fabrique de l’écurie Pavement, cette propension à alterner le feu et le rêve, le métallique et le céleste, dans un élan que n’aurait pas renié un Deus grand cru.

De petits bijoux donc, où figurent en bonne place un « Mama » tout auréolé de la voix haut perchée d’un Malkmus laissant paraître une fêlure nostalgique familiale qui confine soudain au plus profond de l’intime. Il est encore question de voix, feutrée et doucereuse cette fois-ci, une voix qui s’attache à conter l’absolue nécessité de déprendre l’attelle cérébrale ambiante pour laisser libre cours au sensoriel qui envahit les lieux :

Nothing last for long, Except the earth and mountains, So learn to sing along and languish here... Help me languish here...

Et l’on ne peut résister à l’appel du lâcher prise lorsqu’il est énoncé avec autant de sensualité dans un set qui réconcilie les extrêmes sous le fouetté attentif d’un batteur au diapason du kaléidoscope polymorphe à l’œuvre ce soir-là.

Machettes + massettes = post-rock mutant

Ils sont légions les groupes à déambuler au choix dans le furibard (Jon Spencer revendiqué) ou la ligne claire (Elliott Smith). Beaucoup plus rares ceux qui réussissent la jonction. Malkmus et ses sbires sont de ceux-ci. Un univers labyrinthique dont la force naît du refus des tiroirs bien rangés, étiquetés et vite refermés. S’il fallait encore apporter la preuve que la cohorte avait plus d’une corde à sa guitare, il suffit d’encaisser la tournure post-rock que prennent les évènements. Echaudés par les faux départs à répétition de certains titres, le groupe dresse l’arme fatale, et entonne un « No More Shoes » où les vocalises ne sont là que pour induire en erreur, et étendre sur une bonne quinzaine de minutes un titre où la bassiste arc-boutée ne fixe que ses pieds pour donner à Malkmus une assise tellurique idéale. S’en suit un martèlement en forme de litanie digne d’un Godspeed You !Black Emperor à laisser tout bonze qui se respecte dans l’hystérie la plus indigne.

Et c’est la rebelote au moment de conclure l’entrevue, les Américains nous gratifient d’un « It Kills » en forme de révérence décérébrée à un public qui manifeste à peine sa surprise de voir déjà s’évanouir une apparition protéiforme que l’on aurait voulu voir persévérer au-delà de l’heure et demie de rigueur. Reste l’impression à la chaux vive d’une performance en forme de Grand Canyon où la peur de voir le pied se dérober à la descente est submergée par la beauté sauvage des environs. Que Malkmus se rassure, à l’issue du set, we don’t need any Alka-Seltzer.


Guillaume Bozonnet