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Whitey - The Light At The End Of The Tunnel Is A Train
Dirty digital pop





Joyau en provenance de Londres, The Light At The End Of The Tunnel Is A Train ne possède pas qu’un titre génial. Un disque tout entier pour danser dans les rues noires, le digital chevillé au corps.

On sait peu du bonhomme sinon cette étiquette de touche-à-tout collée sur son épaule : journaliste-producteur-artiste graffiti-remixeur et danseur fou déguisé en costume de chien dans les boîtes de nuit d’East London - mélange à priori qui laisserait présager du pire. Un simple coup d’œil au titre de l’album ainsi qu’à la pochette nous rassurrent pourtant d’emblée : forme de rébus visuel reprenant le titre de l’album par l’addition des peintures hyperréalistes de Chris Graham, et voilà soudain que nos pupilles vitreuses s’éclairent.

Recyclage anthracite : dance et mélodies poubelles.

Large sourire donc à entrer dans ce labyrinthe recyclant moult formes musicales, mais aussi l’arrière goût de charbon qui ne nous quittera pas durant l’écoute entière du disque. D’abord un livret sobre où n’apparaissent qu’une suite de noms de « collègues, amis ou influences qui chacun ont contribué à cet album à leur manière », et quelques zèbres sortent du lot : 2ManyDJ’s, Grandaddy, Elliott Smith. On comprend mieux dès lors la trame de fond de cette lame Whitey : des deux premiers, un goût immodéré pour les sons synthétiques, l’architecture sonore, la distorsion raisonnée de trente années de musique pour caves, et du dernier le talent mélodique, la teinte anthracite d’un cœur artichaut.

Dance matinée de crasse rock - ou inversement.

Whitey a donc beaucoup en commun avec 2ManyDJ’s, à lier par la sueur un solide goût du rock sur un corps tordu par la danse. Aux boucles qui tournent et se répètent, l’ossature des morceaux défile à la table de clonage : nappes successives, segments entrecoupés de lourdes basses, riffs de guitare oscillant entre l’arrière-fond et le premier plan, le tout sur la voix presque blanche, murmurée de Nathan J Whitey. Cette merveilleuse fusion qu’opère Whitey entre musique électronique, rock eighties et pop ressemble d’ailleurs étrangement au pilonnage imposé au rock et au folk hop par le Beck des débuts. En beaucoup mieux. Ecoutez A walk In The Dark, sa monstre basse, son refrain posé sur un claquement de main eighties, ses riffs cachés, ses pointillés digitals, et la dernière partie reprise en acoustique : une merveille. Whitey n’a pas ce côté bouillasse qui brillait sur les premiers Beck et c’est peut-être tant mieux : derrière le prisme très sombre de la ville et le son circa 1982, c’est surtout l’obsessionnel, le pointillisme pop à l’œuvre que semblent revendiquer ces perles.

Pop, vous avez dit pop ? Oui, mais noire, chimique, malade.

Le digital souvent dissonant, les basses vicieuses et le cachet clubber urbain début de siècle cachent donc des constructions mélodiques rappelant Elliot Smith à notre bon souvenir. Mélodie rimant avec pop, on ne peut que s’agenouiller, au milieu d’un album très sombre, devant les accents d’enfance et de candeur trouvées sur Can’t Go Out, Can’t Stay In : elles sont dignes du meilleur de Yo La Tengo ou Mouse on Mars. Ainsi de Tantrum, ballade downtempo en after pour consciences retrouvées après une longue nuit d’ingestion du savoir-faire chimique européen : basse et nappes hypnotiques, claviers funèbres et refrain justifiant à eux seuls la création d’un label rouge pop chimique dédié à notre ami Whitey.

Des morceaux où la liesse hypnotique bon marché s’accompagne toujours d’une efficacité rythmique, pour un but avoué : se jouer des sons, des genres et des manières. Derrière le riff, la batterie samplée, le larsen, bref l’habillage rock premier cru ramenant Whitey du côté des Kills par la répétition sur cinq minutes de la même ligne, un petit miracle arrive : une lente nappe atmosphérique comme issue du film Safe de Todd Haynes, cette atmosphère d’épais mystère dont on ne sait rien, sinon ce personnage (divine Julianne Moore) qui s’enferme, se protège d’un mal invisible, nous contraignant d’avancer à tâtons, pris d’une angoisse diffuse. Voici donc Halway Gone, missive rock prise d’assaut par un mal synthétique.

Dance floor et dépendances.

Simple habillage de papier pop à cadeaux où les jouets Casio et autres Bontempi seraient rois ? Pas seulement. Le pire du synthétique eighties -synthés rachitiques, rythmes plats - récupéré par Whitey, maître ès fondries sonores, transforme sur Non Stop les petits balais jazz de son batteur en V2 pour pilonnage intensif. Autant prévenir les intéressés, un dance floor aillant reçu pareille punition sera difficile à récupérer.

Ce beau monde arrive donc au paradis des défunts noceurs pour la seule, l’ultime ballade de tout l’album : bande son idéale pour se faire ange et contempler au matin la rencontre-carnage d’avec le fameux train du tunnel. Un arpège acoustique gravé sur vinyle qu’on aurait pu extraire des greniers de Johnny Horton, tué un matin de 1960 par un chauffard ivre près de Milano, Texas, alors qu’il venait, comme Hank Williams, pour la dernière fois avant sa mort, de jouer au Skyline Club d’Austin. Loin, loin, très, très loin du ciel texan, une étoile est née, petit blanc tourmenté de chimie synthétique, et ce pour notre plus grand bonheur.


Stéphane Mas