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Grails - Redlight
Tellurisme à guitares





De l’espace pour une terre qui s’ouvre. Grails apporte au post rock le lourd tremblement d’une menace autant sonore que visuelle. Sur leur second album Redlight, l’espace est partout, l’attente aussi, et de grands murs sonores, souvent brefs, rompus par une batterie au premier plan.

A travers ses deux projets Grails et Holy Sons, Emil Amos parvient à trouver une ouverture, une expression différente pour répondre à des besoins qui s’opposent moins qu’ils ne se complètent : la force, la tension, une sorte de lourde peine - carcérale, affective - qui finit par éclater au sein de son groupe Grails, contre les mélodies calmes en sous pente dépressive, mélodiques et aériennes de son projet solo d’Holy Sons.

Tension de cinéma pour musique visuelle.

Redlight s’ouvre sur un champs d’après bataille, lorsque les flammes, les fumées montent dans un panoramique qu’on imaginerait volontiers en ouverture du Thin Red Line de Terence Malick. On y trouve le suspens, le calme mauvais qui précède l’horreur, le grondement sourd de pales d’hélicos tournant à très basse vitesse. Il y a l’éclat des bombes en chapelet, les palmes sous la pluie, bref cette violence de l’explosion qui ramène à la guerre. Derrière ces trois premiers morceaux très visuels, une longue montée, deux personnages en duel, des cliquetis de métaux, des corps hachés dans leur chaloupe, des corps en bout de course, et le piano mécanique, seul au fond d’un bar pour la fin d’une séance de cinéma muet. Sur Reprieve, on retrouve cette alternance de High and Low, où l’air se tend lentement jusqu’à la décharge, puis Redlight et sa lente construction : des fils d’abord, des lignes d’arpèges au violon, puis les guitares, la batterie, de lents murs qui s’imbriquent puis s’enfoncent au final sous les coups de stridence.

L’espace de la décharge.

Il faut parler d’espace lorsqu’on évoque Grails. Un espace très ouvert, fait de sons murmurés, de mélodies simples qui s’emmêlent, se superposent et forment de longues nappes sonores. Qu’importe s’il s’agit d’un désert, d’une mer ou d’un immense champ (New Lystra, Alms), d’ailleurs il ne s’agit d’aucun des trois, mais de notes qui gonflent, s’étirent avant de s’effondrer sous le poids de la batterie. Des espaces qui, s’ils sont aérés, n’apparaissent jamais creux, et ne tombent donc jamais dans le plus grand travers du post-rock - l’ennui. Au contraire, ils cèdent face à des murs très droits, ou se transportent lors de longues chevauchées - le magnifique Fevers et sa rythmique en galop.

Des feux rouges pour s’arrêter, écouter à nouveau, se laisser perdre avant de repartir. Voilà Grails, une musique d’éclats sans paroles, une musique d’après chute, juste au fond d’un désastre, de celles que l’on écoute pour les longs espaces en voiture, traversés sans un mot. Redlight possède souvent une force sourde, une simplicité plaçant Grails résolument à part dans la galaxie post-rock, à la source d’un forage sonore où se retrouvent de face la mélodie et l’éclatement : qu’on se le dise, le graal est proche, très proche.


Stéphane Mas