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Sébastien Martel / Las Ondas Marteles - Interview !
Oye bien lo que te digo.





Un album à nourrir vos nuits, pour remplir les verres et se rappeler l?étreinte. Las Ondas Marteles naît d?une amitié cubaine, celle du poète Miguel Angel Luiz. A transmettre cette langue, à relier l?harmonie des voix, celle du frère, Nicolas, tendue au cordeau, à la contrebasse ample de Sarah, et les guitares du troisième, le trio signe un tout d?une épure magnifique. Le tête au marteau et le verre bien en main, rencontre avec Sébastien Martel, passionné calme et modeste.

Peauneuve : D?ou vient ce nom, Las Ondas Marteles ?

Sébastien Martel : Cela vient de la fin dix-neuvième et de cet ingénieur Martenot. En jouant sur des formes d?ondes avec un système assez complexe au niveau mécanique, il inventa un peu l?ancêtre du synthétiseur, voilà.

pn : Le projet est-il né après ou avant ton voyage en Amérique du Sud ?

s.m. : Mon frère est comédien et danseur. Après le conservatoire, il est parti au Mexique tandis qu?au même moment je partais à Cuba travailler avec des musiciens. Je ne connaissais pas grand chose de cette musique et je voulais la découvrir sur la durée, dans une sorte d?immersion. Et puis j?ai rencontré ce poète Miguel Angel Luiz qui vivait un peu reclu, abandonné. Il avait eu des déboires avec l?état cubain qui ne lui permettait pas d?exercer son métier de peintre. Il écrivait des poésies qu?il mélodifiait, c?est très important : il inventait des mélodies pour ses vers donc il avait besoin de quelqu?un pour l?épauler et nos chemins se sont croisés. Moi qui avait envie de tout apprendre et lui qui avait envie de transmettre. Et on est devenu vraiment inséparable et c?était une très très belle amitié.

pn : Ton frère n?était pas encore avec toi ?

s.m. : Non, c?est lors d?un deuxième voyage où je suis arrivé avec Nicolas. On avait déjà travaillé sur quelques morceaux de Miguel et il a été très ému lorsqu?on lui a présenté ça. Il nous a pris très au sérieux et c?est à partir de là qu?on a commencé à aller beaucoup plus loin sur plein d?autres morceaux. Et malheureusement après on est rentré en France et un an après il décédait subitement donc on a décidé de réaliser ce disque en son hommage.

pn :Dans quelle mesure es-tu intervenu sur l?écriture au niveau de la musique ?

s.m. : Je suis resté très fidèle, je n?ai fait que des arrangements. C?était vraiment l?idée de départ : un hommage. Le disque s?ouvre sur sa voix, lorsqu?il m?apprend une mélodie, j?ai voulu garder ça. On retrouve cet aspect dans les textes sublimes, qui ont été traduits en français dans le disque par la mère de Sarah, notre contrebassiste, qui est une universitaire espagnole, traductrice. (...) On ne voulait pas que les gens passent à côté de ça. Et la pochette aussi, assez exceptionnelle je trouve, très sobre, qui fait résonner le mot hommage.

pn : Cette découverte des poèmes de Miguel Angel Ruiz a-t-elle eu une résonance ? Un projet d?édition ?

s.m. : Pas encore. On a fait traduire le livret avec cette optique : faire passer, transmettre quelque chose qui nous tient profondément à cœur. C?était dans l?idéal ce que j?aurais voulu faire : un bouquin et un disque, car il y a aussi beaucoup de textes, de prose pure, en cubain mais aussi en dialecte de cette langue à cheval sur l?Afrique et qui est utilisée dans la santéria. Pour l?instant, la musique a pris le dessus. On verra pour l?avenir.

pn : Il y a une réelle intimité sur le disque et sur scène entre vous trois. Quelle est l?histoire du trio ?

s.m. : Mon frère et moi avons passé une enfance complètement séparée. J?ai été le voir au Mexique parce que je voulais savoir qui était mon frère. Je savais qui se passait des choses dans sa vie. Je savais qu?il était comédien, il savait que j?étais musicien. Cela m?intriguait qu?il soit là-bas. On vient d?une famille originaire des Deux-Sèvres très paysanne où le voyage n?est vraiment pas une tradition. En se rencontrant là-bas, on a compris qu?on aurait peut-être des choses à faire ensemble. On a bourlingué un peu, il est venu me rejoindre à Cuba et en rentrant en France, après avoir tant appris, les choses étaient un peu en suspens.

pn : Qu?est-ce qui a servi de déclic ?

s.m. : Le déclic, ça a été pour l?anniversaire de notre mère. On s?est dit qu?on arriverait avec la guitare et qu?on leur jouerait des boléros, comme ça. On avait travaillé cinq morceaux, on leur a fait le show et...(Rires) et tout le monde a fondu en larmes, ça a marche. La patronne du resto est venu nous voir en nous disant que ça lui plaisait énormément et qu?elle nous engageait (Rires). On a donc travaillé pour monter un répertoire et pendant cinq mois on a joué là-bas tous les dimanches avec des morceaux pas très évidents, soit très vieux, très anciens, pour sortir un peu des sentiers. Parce on était alors en pleine vague Buena Vista, des clubs de salsa, etc, qui bien sûr n?étaient pas du tout dans le sujet. Ce qui nous intéressait vraiment, c?était le côté ultra-romantique du boléro, autour de Cuba et du Mexique, de vieux morceaux traditionnels.

pn : Comment s?est passé sur place ta rencontre avec ces musiciens ?

s.m. : Cela s?est fait de manière très instinctive. Après avoir passé quelque temps dans un village, j?ai rencontré un musicien incroyable, un vieux monsieur avec sa famille, ils chantaient tous, et qui m?a appris des tonnes de morceaux. Pour beaucoup on ne sait même pas d?où ça vient, si c?est cubain, mexicain, on ne connaît pas les auteurs, on demande même, on pose des questions et puis bon, on les joue sans savoir. Je trouve ça bien de faire partager ça. Là-bas le boléro est vraiment une institution.

pn : Les bases instrumentales, les règles de composition sont-elles plutôt strictes ou au contraire assez souples ?

s.m. : Les musiques latines, et à Cuba surtout où les gens sont très lettrés et où le taux d?alphabétisation est énorme, les musiciens ont parfaitement toutes les connaissances de musique classique et une formation très rigoureuse. La musique cubaine, surtout dans la salsa, est très technique, très académique en fait. Justement j?étais parti avec d?autres musiciens de France dans le but de faire un projet un peu électro et c?est en fait très difficile de les faire jouer un peu en marge, en tout cas en ce qui concerne le boléro cubain. Au Mexique ou au Vnénzuela, l?influence indienne apporte quelque chose de plus traditionnel, avec des influences ancestrales, absolument sublimes, et une infinité d?instruments, de petites guitares faites sur mesure selon les régions, etc.

pn : As-tu repris certains de ces instruments sur le disque ?

s.m. : Non alors voilà. Parce que le disque, c?est aussi Sarah. Tout se passait bien au resto avec Nicolas, et puis un jour arrive cette fille qui fond en larmes devant nous (Rires) Qu?est-ce qui va pas mademoiselle ? et elle nous explique Mon père me chantait tous ces morceaux et je suis bouleversée. Et elle nous dit qu?elle joue de la contrebasse et voilà. C?était parfait, le plein équilibre. Son père est madrilène donc ça s?est fait de manière assez naturelle en fait. On est vraiment devenu un trio. En partant du resto où ce qu?on faisait servait de petite curiosité, des maisons de disques ont commencé à nous courtiser mais on ne voulait pas faire un disque. On voulait garder cet aspect vraiment le plus acoustique possible.

Même aujourd?hui je regrette pas un peu, car les gens étaient tellement attentifs, on aurait pu jouer sans micro sans rien (A Sédières, le groupe a joué très légèrement amplifié - ndlr) mais on s?est dit, l?ambiance groupes de rock, ouh la la. On l?a déjà fait d?ailleurs, dans des salles de concert rock, en se mettant au milieu des gens, en leur disant chhhht - ils comprennent et c?est magnifique, il se passe vraiment quelque chose d?inégalable en termes d?intimité, d?émotion.

Il n?y a rien de mieux, cette liaison directe du musicien à l?auditeur, tu arrives à faire passer des trucs incroyables, surtout avec Nicolas. Je me souviens du zénith de Toulouse (où Las Ondas jouaient en première partie de M - ndlr) complètement silencieux au moment du boléro final, c?était vertigineux. Et lorsqu?on arrive à faire ça, c?est vraiment le but du jeu, c?est superbe.

pn : Donc le disque n?est véritablement venu qu?avec Miguel Angle Ruiz ?

s.m. : Tout à fait. On s?est dit avec sa disparition, voilà. On va enregistrer, il faut absolument que ça existe, que ces morceaux vivent. Donc on l?a fait et tout s?est bien passé, le disque a très bien été reçu, de manière assez inespérée. On part maintenant à New York pour jouer pour le Summer Stage de Central Park, c?est marrant.

pn : Justement, l?intensité du disque fait beaucoup penser à ce qu?a pu faire Marc Ribot, lui dans l?électrique très tendu et vous dans l?acoustique. Tu l?as déjà rencontré ?

s.m. : L?étau se resserre. Je viens jouer sur son terrain et on va voir ce qui se passe. (...) Marc Ribot, c?est vraiment un maître pour moi. C?est un musicien absolument fantastique mais je ne veux pas forcer les choses. On ne peut pas dire qu?il y a une réelle influence de Los Cubanos. C?est vrai que sur certains instrumentaux du disque, lorsque je joue sur une guitare plus électrique, un peu fifties? (Cum,ainsi que El amanecer - ndlr), on est alors assez proche. Alors voilà, on n?invente rien. Si tu écoutes Los Zafiros, groupe yéyé avec Manuel Galban, guitariste cubain phénoménal qu?on retrouve sur Buena Vista, avec Ry Cooder aussi, et qui joue exclusivement sur Telecaster, tu entends ça dans les années 50 et c?est génial. On n?invente rien et les passerelles se font, voilà.

pn :Las Ondas continue pour un autre projet ?

s.m :Complètement. On a envie de faire autre chose maintenant, de complètement différent, un virage plus rockabilly. Je suis passionné de ça, la country, le folk américain des années 30-40-50, et il y a dans le rockabilly cette veine un peu honky tonk , chez Jonnhy Horton (...) ou Johnny Burnette, le héros de Brian Selzer. Et c?est ça qui est marrant, de voir l?influence latine sur cette musique. Regarde Elvis, qui a chanté beaucoup de boléros, en fait. Prends It?s now or never, même si c?est une autre histoire, puisque l?influence latine est là européenne, avec au départ une chanson napolitaine, Solé Mio. C?est latin à fond. C?est pour ça qu?on a choisit de faire cette reprise pour l?émission d?Arte. Avec la carrure de Nicolas, je me suis dit, là il y a un truc. Don on l?a rejoué, et j?ai commencé à leur faire écouter plein de trucs. On est sur quelque chose. En plus, c?est un genre assez méconnu, le rockabilly, et que les gens adorent, ce côté swing, on va voir.


Stéphane Mas