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Festival de Cannes - Bilan du 60ème (part two)
Retour sur parallèles





Face à la surmédiatisation de la paillasse rouge, les sections parallèles retrouvent leur équilibre avec un cru du 60ème de qualité. Jugez plutôt : excellente Quinzaine, très bonne Semaine de la critique, Un Certain Regard d?une pertinence certaine. Et cette particularité, le retour en plein centre de la femme, comme un aimant sur l?objectif pour toutes les formes de cinéma.

Les femmes sont partout. S?il faut parler désir, la rencontre aurait lieu entre le Mexique, le Liban, la France, Israël et Singapour. Quelque part en plein océan donc. Difficile à priori d?y trouver du sucre, et pourtant. Caramel scintille du désir de cinq femmes entre deux vitrines. Un salon de coiffure, une boutique de reprise de vêtements, pour un film fait par et pour les filles. Photographie légère rehaussée d?une inoubliable grand-mère à demi sénile, Caramel assume son statut de comédie intelligente sur vernis à ongles comme antithèse totale, par sa forme et son contenu, au Death Proof de Tarentino.

La visite de la fanfare / Parpados Azules - Rencontre pour double croche solitaire

Côté Israêl, la fracture se fait à la langue. La visite de la fanfare dans un bled perdu au milieu du désert sert de prétexte à la rencontre d?une femme prise entre deux hommes, elle même entre deux âges. Exploration sensible d?un no man?s land à la fois humain, géographique et politique, le premier film d?Eran Kolirin creuse plus profond qu?il n?y paraît. Chacun joue la parade d?une existence au bord du vide, où la musique a parfois du mal à remplacer les mots. Les corps se cherchent, s?évitent, se rencontrent enfin. Et Korilin de filmer ce croisement des désirs, des parcours et des solitudes avec une tendresse très juste.

Ernesto Contreras partage d?abord avec Eran Kolirin un thème - la rencontre des solitudes. Plus encore, le goût du minimalisme, par son humour, sa mise en scène. Mais la fanfare laisse ici place au duo, le désert à la ville, la tendresse à la noirceur. Parpados azules ne garde en effet de bleu que les paupières, de lisse que sa surface et sa musique. Victor et Marina, seuls en ville, transparents, s?accommodent chacun du désespoir par l?habitude. Rien ne les rapproche sinon ce vide existentiel et quelques prétextes de scénario. Faudrait-il pour autant qu?ils soient privés d?amour ? Réponse pour le moins pessimiste d?un cinéaste à la mise en scène très léchée mais qui pêche par orgueil. Trop au dessus de ses personnages, il ne sauve de son film qu?une vieille femme aux oiseaux.

Actrices / Funuke - Hystérie burlesque et cinéma pop

De femmes et de scènes, le film de Valéria Bruni-Tedeschi en est plein. Plus, il déborde, suppure, s?envole. Actrices, présenté à Un Certain Regard mais alors dénommé Le rêve de la nuit d?avant, joue des titres comme des corps. Un ballet continuel à l?hystérie des désirs, entre réel et fantasme, d?un film à l?image de son personnage, en perpétuelle bascule du drame au burlesque. D?une structure en miroir cinéma/théâtre, Valeria Bruni-Tedeshi tire un film survolté d?amour, de passion et d?ego, dans un festival ne manquant certes pas du dernier malgré les efforts de certains à en casser la fabrique.

Prenez le publiciste Yoshida Daihachi, dont le triple portrait de famille Funuke, Show Some Love, You Losers ! pourrait se concevoir en double japonais pop du film de Valéria Bruni-Tedeschi. Soit une fillette dessinatrice de manga, une épouse aussi illuminée que soumise, une belle-sœur dominante et castratrice prête à tout pour atteindre la célébrité. Le programme sera fidèle à l?affiche. Satire féroce de la sclérose familiale et d?une société cadenassée par le mythe de la réussite, Funuke ne garde indemne que l?outrance de l?art et l?humour. Qui viendrait donc s?en plaindre ?

Expired / Pleasure factory - Fabrique du comique en territoire pervenche

Sans doute pas Cecilia Miniucchi, replaçant la très convoitée (cf. plus haut) rencontre de deux solitudes dans un cadre inédit. Expired nous conte la durée de péremption d?un couple insolite de contractuels évoluant sur les parcmètres de L.A. Claire (Samantha we love you Morton) est ronde et candide. Elle rencontre Jay, caricature vivante du flic obtus, misanthrope et vachard. L?une, dévouée, s?occupe de sa mère malade. L?autre, comble de l?égoïsme, n?a jamais reparlé à son fils depuis son divorce. De ce binôme aussi improbable au départ que celui de Hawks dans L?impossible Monsieur Bébé, Cecilia Miniucchi tire une comédie deadpan merveilleuement calibrée, fable pour adultes sur l?infantile dans la psyché u.s.

Comment juxtaposer l?amour au bleu des fleurs et l?industrie du sexe ? Direction Singapour où Ekachai Uekrongtham choisit de fondre l?un à l?autre sous une pose arty cachant mal ses maladresses. Anti-chronique de la prostitution, Pleasure Factory suit la déambulation nocturne d?un jeune puceau en quête de première expérience. Un premier film d?abord troublant par son récit perforé de vide, mais dont les quelques scènes réussies, notamment celle d?une prostituée retrouvant sa fille autour d?un chanteur tendre, ne compensent pas la faiblesse de la mise en scène et le propos flou voire douteux du réalisateur sur son sujet.

Night Train / Blind Mountain - Peine d?amour, peine de mort

D?autres corps se poursuivent chez Yinan Diao, mais l?absence, l?étrangeté, la béance ne sont pas ici creuses. Elles nourrissent au contraire l?intrigue, la mise en scène et le regard d?un cinéaste. Night Train/Ye che est un film d?hiver, s?étirant entre les murs décrépis de tribunaux, d?immeubles, un long canal immobile et un château d?eau. Grosse ambiance, donc. Wu, femme huissier, peine à trouver l?âme sœur lorsque le mari d?une femme dont elle a traité le cas se met à la suivre. Il la cherche puis l?approche. Yinan Diao filme les rapports troubles d?une relation où vengeance, mort et passion froide se mêlent en couleuvre. Du très bon cinéma, politique de surcroît, où les gris et blancs recouvrent en surface une pellicule très noire.

D?une misère l?autre, la chine garde la main. Dans Blind Mountain, une jeune étudiante, vendue comme épouse, devient l?esclave de son mari et de la mère de celui-ci. Un monde paysan d?un autre âge, où les femmes ne valent que pour les enfants qu?elles font naître, perpétuant ainsi un monde de brutes, d?hommes solidaires autour du lâche et de l?immonde. Malgré ses longueurs, Blind Mountain parvient à s?extirper du pathos dans un dernier tiers tragi-comique proprement surréel, avec l?intervention des autorités. Li Yang condamne, dénonce et polémique. De même Wang Bing et son implacable Brutality Factory inclus dans O Estado do Mundo. La violence, politique, culturelle ou sociale continue donc d?être visible. Mais hors de Chine et par qui ?

Gegenüber - Film chien de garde, chien d?attaque

L?Allemagne garde ses névroses à l?intérieur. Portant bien étalé sur le front son label de film polémique, Gegenüber aura fait son office. Une messe laide et grandiose agitant sans égard son spectateur par la rétine. Une douche froide pour s?ouvrir à la vie moche derrière les murs. Georg, policier placide, estimé, subit lorsqu?il rentre chez lui la violence conjugale de sa femme. De ce point de départ, le film s?enroule en boa et vous serre à la gorge. Le serpent devient chien et le film se cogne. Il mord, il ouvre et referme ses mâchoires, finissant toujours au même centre d?une violence domestique, familiale et sociale. Gegenüber est un film d?horreur sans une seule goutte de sang et finalement peu de cris. Une trique sèche, éprouvante, sauvée par cette humanité qui jaillit d?on ne sait où. C?est à dire des acteurs, du regard posé sur eux, d?un plan qui dure plus qu?un autre, du cinéma lui-même.

Madame Tutli-Putli ou le rêve éveillé

Changement de décor et de regard pour finir, même si le monde reste à la nuit. La silhouette frêle et le regard d?enfant de Madame Tutli-Putli restent longtemps en mémoire. La faute à Chris Lavis et Maciek Szczerbowski très justement primés à la Critique pour leur fabuleux court d?animation. Une femme sur-encombrée de restes en chiffon monte à bord d?un train pour une longue nuit à l?intérieur d?elle-même. Voyage au centre du cinéma, la lumière blanche d?un projecteur en front de train, pour un univers proche des frères Quay mais unique dans son pouvoir d?évocation, d?ouverture des possibles. MadameTutli-Putli, luciole fragile mêlant conte, rêve et cauchemar au réel, est une petite merveille. Dix-sept minutes de bonheur muet en clôture de douze jours frénétiques. Qui a dit que le cinéma était mort ?

Part One : bilan de la compétition


Stéphane Mas