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Malas Temporadas - Alejandro Hernandez - Interview !
Entrevista con un guionista cubano





Scénariste cubain émigré à Madrid, Alejandro Hernandez n’est pas un écrivain qui fait du cinéma. Un travail sur l’ellipse, le mystère, la tension et le rythme qui illuminent lentement ce film co-écrit avec Manuel Martin Cuenca, primé lors de la 12ème Biennale du cinéma Espagnol d’Annecy. Rencontre avec un jeune auteur n’hésitant pas à parler boutique, immigration et autobiographie dans un film s’ouvrant par l’intime à une réalité sociale d’aujourd’hui.

pn : Comment avez-vous travaillé l’équilibre sur cette idée d’entre-deux, entre mouvement et immobilisme ?

A.H : Disons que ces personnages sont comme pris au piège à un moment donné de leur vie. Ils doivent alors prendre des décisions, bouger d’une manière ou d’une autre, mais ils ne savent comment faire. Ils se tiennent toujours un pied d’un côté de la ligne, sans savoir à quel endroit placer l’autre. « Qu’est-ce que je vais faire, vaut-il mieux rester dans ma position ou prendre le risque du changement ? Je dois faire quelque chose, mais est-ce que je suis prêt ? Est-ce que j’ai peur de tout ça ? » Voilà un peu le type de questions qui les travaille.

On a aussi été obligé de beaucoup couper, parce que la fin du film était beaucoup plus longue que ce que prévoyait le script au départ. Sur les cent seize pages du scénario, la fin du film s’arrêtait à la page quatre-vingt dix à peu près. Donc on a enlevé pas mal de choses. En regardant les rushes, on s’est rendu compte que ce qu’on avait suffisait par rapport à ce qu’on voulait montrer. Cela a été en fait assez difficile. Il a d’abord fallu travailler sur chaque personnage pour construire leur histoire, avant de tous les mêler les uns aux autres.

The point was that they’re like trapped at this point in their life when they have to move, they have to take decisions and they don’t know how to do it. They always have one foot on this side of the line and they don’t know where to put the other one. So they’re like “What am I going to do now ? Is it better to go ahead or just to stay the way I am ? I have to do something, things have to change. But am I ready for that change, am I afraid of this ?” These are the questions revolving around these characters.

We cut a lot in the film because the ending was longer than what was written in the script. The script was already a hundred and sixteen pages and the film ending corresponds to page ninety or something, so a lot was actually left out. Because watching all the rush at one point we just thought, ok that’s enough to show what we are trying to show. It was quite difficult, you know because we first worked with each character, trying to build their stories, and then we mixed them all together.

pn : Ana était le personnage qui servait de relais à toutes les autres histoires ?

A.H : Oui, Ana était le premier personnage, avec son fils Gonzalo. Au départ, il y avait quatre histoires mais j’ai trouvé que c’était trop. Il fallait faire plus simple. Donc on est resté avec trois histoires principales - Ana, Mikel and Carlos. Ensuite seulement sont venus l’autre cubain (Fabré) ainsi que sa femme (Laura). Mais je pense que si j’avais à la refaire, je n’écrirais pas un script avec autant de personnages. C’est vraiment trop compliqué, au niveau du travail, du casting surtout.

D’ailleurs, de manière assez drôle, nous avions la même directrice de casting que sur 7 Virgenes [7 Vierges, carton de l’année en Espagne sur la vie des jeunes de banlieue, ndlr]. C’est elle qui a trouvé Gonzalo, dans le même quartier que tous les jeunes non-professionnels de 7 Vierges. C’était marrant pendant le tournage, par ce qu’on savait toujours tout ce qui se passait sur l’autre film (rires).

Yeah, Ana was the first character, with her son Gonzalo. Originally, we had four stories but I thought it was too much and there was a need to get things more simple. So we continued with the three major stories - Ana, Mikel and Carlos. And then came the other Cuban (Fabré) and his wife (Laura). But I think I wouldn’t write again a script with so many characters. It’s too complicated, too much work really in the casting. And it’s funny we had the same casting director (Yolanda Serrano) as in 7 Virgenes. She found Gonzalo and she’s also the one who found all the non-professional actors in 7 Virgenes. And we were always hearing everything about the other film all the time, it was quite funny (laughs).

pn : A quel moment de l’écriture est intervenu l’aspect plus social du film et le thème de l’immigration entre Cuba et l’Espagne ? Etait-ce présent dès le départ ?

A.H : Pas vraiment, non. En réalité je n’étais pas parti pour en parler. Au début, le film racontait simplement des histoires d’amour. Ana et son fils, Mikel et son ancien compagnon de cellule, Carlos et sa copine de Miami, ainsi que celle de Madrid. Il y avait donc ces trois histoires d’amour, avec en même temps un regard sous-terrain sur l’environnement de ces personnages. Ana et les gens auxquels son travail la confronte, le milieu que fréquente Carlos, etc. Mais je n’avais pas l’intention de faire un film social, même si c’est vrai qu’il y a beaucoup de social au final.

Not really, no. I didn’t really want to talk about that in the first place. In the beginning, all this was about love stories. In a way, it’s a film about love stories. Ana and her son, Mikel and his former friend in jail, Carlos and the girl he has in Miami and the one he has in Madrid. So there were these three love stories, but at the same time we were talking in an underground way about this environment : Ana and all the people she has to face in her job everyday, Carlos and all his environment too. But I didn’t have in my mind to write a social film even though in the end you’re right it has a lot of social elements.

pn : Mais vous aviez dès le départ le personnage de Carlos qui comme vous est cubain, non ?

A.H : Oui en fait, tout ça est en fait assez proche de moi puisque mon père et mon frère sont tous deux pilotes. Et mon frère était pilote au moment de l’effondrement du communisme en Russie. Il étudiait là-bas à l’époque et il a donc du rentrer précipitamment à Cuba. Or nous n’avions pas de carburant pour les avions. Il n’a donc jamais pu voler à nouveau, mais je me souviens qu’il passait des heures devant ces avions, en espérant revoler un jour. On lui disait qu’il revolerait bientôt, qu’il suffisait d’être patient. Ce n’est jamais arrivé.

Sa frustration à propos de tout ça, avant qu’il ne choisisse un autre job, m’a beaucoup marquée. Donc Carlos est un peu un mélange entre mon frère et moi. Lui à Cuba, frustré parce qu’il ne pouvait plus voler, pendant que j’étais moi à Madrid en train de décider ce que je voulais faire de ma vie. En plus, Carlos est le vrai prénom de mon frère (rires).

Well it’s actually very personal because my father and my brother are both pilots. And my brother used to be a pilot at the time when communism collapsed in Russia. He was studying there so he had to come back to Cuba. And as we didn’t have any oil for the planes, he never flew again. So I remember him watching the planes with a lot of expectation. They would tell him that he’d fly again soon, that he had to be patient. He never did.

So I remembered his frustration about all that, before he eventually took another job. So that Carlos is a mixture between my brother and me. He was in Cuba, frustrated because unable to fly, while I was in Madrid, trying to make sure what I wanted to do with my life. And my brother’s real name is Carlos too (laughs)

pn : Et le fait qu’Ana travaille dans cette organisation venant en aide aux réfugiés ?

A.H : C’était là dès le départ du scénario. J’ai d’abord rencontré cette fille en Norvège qui travaillait pour Amnesty International et qui avait eu à traiter cette affaire du jeune violeur Russe dont il est question dans le film. Elle avait vraiment eu du mal à s’en remettre et j’ai pensé que ça pourrait être une très bonne idée pour un film. Raconter l’histoire d’une travailleuse sociale, mais sans idéaliser ce monde-là. Parce que les gens ont toujours tendance à admirer ces gens pour ce qu’ils font, sans se rendre compte des situations merdiques et de la frustration qu’ils doivent gérer au quotidien.

Quand j’ai déménagé à Madrid, j’ai commencé à enquêter sur les travailleurs sociaux et j’ai vite été en contact avec la Commission Espagnole pour l’Aide aux Réfugiés (CEAR). C’est d’ailleurs dans leurs locaux que le film a été tourné. C’était assez dur. Si je devais comparer Amnesty avec le CEAR, je dirais qu’au CEAR les personnes ont des relations beaucoup plus personnelles, plus intenses avec les gens qu’ils aident. Il y a vraiment eu des cas d’agressions d’employés, et j’ai pensé qu’il serait intéressant de montrer ça dans le film. J’y suis allé à peu près deux mois pour travailler avec cette femme, Estrella, qui m’a montré ce qu’elle faisait, comment elle gérait des cas parfois difficiles. J’ai beaucoup appris de toutes ces personnes.

It was there in the writing from the very beginning. I first met this girl in Norway who was working for Amnesty International and who had to deal with this rapist in Russia and she was really frustrated about the whole case and it’s then I thought it could be a very interesting idea for a film. The story of a social worker but with no idealization of the job. Because people always tend to admire them for saving people and everything, but they usually don’t imagine how much shit and frustration people who work there have to face in everyday life.

When I moved to Madrid I started to investigate on social workers and I got contacts with the Spanish Commission for Refugee Assistance (CEAR) where we actually shot the movie. It was pretty tough. If I had to compare CEAR to Amnesty, I would say that those working for CEAR maybe have a more intense and personal relationship with people. You see people fighting there, sometimes attacking some of the advisers and I thought it was interesting to show this in the film. I went there a couple of months to work with that girl, Estrella. She told me how they worked, how to confront hard cases, and I learned a lot from these people.

pn : D’où vous vient ce goût du secret qui vous pousse à ne rien dire d’explicite sur vos personnages ?

A.H : J’aime beaucoup travailler sur des histoires dans lesquelles le mystère est présent. Je disais souvent à mes étudiants de Madrid qu’un film contenant du mystère n’est pas forcément un thriller. N’importe quel film, même une comédie, a forcément besoin de mystère. On donne souvent beaucoup d’informations au spectateur mais en ont-ils vraiment besoin ? Peut-être que quelqu’un de curieux aura envie d’en savoir plus sur les personnages, mais ce n’est pas ça qui l’empêche de comprendre le film.

J’aime donc les atmosphères dans laquelle on comprend l’histoire même si l’on ne possède pas absolument toutes les clés. Qu’est-ce qui s’est passé pour Laura, pourquoi est-elle maintenant en fauteuil roulant ? Ou bien pour le père de Gonzalo, ou pour le passé de Mikel avant qu’il n’aille en prison. J’aime l’idée qu’un spectateur puisse avoir sa propre version des évènements. D’ailleurs c’est étonnant de voir avec quelle imagination les gens réagissent. J’ai entendu plein de choses sur ces personnages. J’aime beaucoup ça (rires). C’est pour cette raison que j’aime travailler sur des ombres, des contours flous.

I really love to work with stories in which you have a mystery. I used to tell this to my students in Madrid - to have a mystery in a film doesn’t mean it’s a mystery film. Every film, even in comedies, definitely needs a mystery. The audience is usually given a lot of information but do people really need that information ? A curious person would probably ask to know more about all these characters but they don’t need this to understand the movie. I love to create an atmosphere in which you can understand the story even if some keys are missing. What happened to Laura, why is she now in a wheeling chair ? Or Gonzalo’s father, or Mikel’s past before he went to prison. I like the idea to let the audience have their own version. And it’s often amazing to see how people react in a very creative way. I’ve heard so many things about these characters. I really enjoy that (laughs). I really like to work with shadows in this respect.

pn : Ce travail sur l’implicite pousse même le public a douter de ce qu’on voit réellement à l’écran. Certains parlent simplement d’amitié entre Mikel et Pascual. Comment vouliez-vous traiter cette relation entre deux hommes ?

A.H : Nous voulions clairement montrer qu’il s’agissait d’amour, mais de façon subtile, sans être trop explicite. Je me souviens qu’au festival de San Sebastian quelqu’un est venu me demander « Ils ont baisé ou pas ? » (rires) « A votre avis ? » est la seule réponse que j’ai pu lui donner (rires).

We didn’t want their relationship to be obvious but we did want to make it clear that there was a love story there, but in a subtle way. I remember in San Sebastian Film Festival when someone came to me and asked : “Did they fuck ?” (laughs). “What do you think ?”was the only answer (laughs)

pb : Ce goût du mystère, voire de l’insolite, apparaît dans le scénario et la mise en scène - la séquence de Mikel dans la salle de bain, ou du petit piano, par exemple. Vous êtes très private joke ?

A.H : Oui, j’aime beaucoup cette scène de la salle de bain. Sur le petit piano, bon. En réalité Manuel Martin a fait il y a quelques années un documentaire sur des algériens essayant de passer en Europe. Un de ces hommes est devenu un ami de Manuel et il l’a par la suite beaucoup aidé afin qu’il puisse rester en Espagne. Pour le remercier, cet homme lui a un jour offert un cadeau de ce genre - quelque chose d’émouvant, de kitsch, d’assez bizarre en fait, d’un peu déconnecté. Manuel a voulu garder ça dans le film.

Yeah, I really love that bathroom scene. About the piano, well yeah. Actually Manuel Martin did a documentary about Algerians trying to get to Europe and one of those guys became a friend. Manuel Martin helped him a lot so that he could stay in Spain. And as a way to thank him for his help, this guy gave Manuel a gift like that - something very touching and kitsch, not really making any sense either. Manuel wanted to keep that in the film.

pn : D’où vient cette idée des échecs autour du personnage de Mikel ?

A.H : En fait il se trouve que je suis un grand fan d’échecs. J’ai étudié les échecs pendant deux trois ans lorsque j’avais quinze ans. J’ai toujours voulu écrire une histoire liée à un joueur d’échecs. A Cuba, dans les années vingt, nous avons eu un champion du monde, Copablanca, qui m’a longtemps fasciné. Je voulais représenter un joueur d’échecs, mais pas comme un joueur d’échecs, vous voyez ? Je voulais écrire cette histoire sur un type dont il s’avère presque par hasard qu’il est joueur d’échecs. Mikel était le personnage idéal.

Well the thing is that I love chess, I even studied chess during two or three years when I was fifteen. I’ve always wanted to write a story about a chess player or something. In Cuba, we had in the twenties this world-champion, Capablanca, whom I studied a lot. I wanted to show a chess-player but not as a chess-player, you know ? I wanted to write a story about this guy who, almost by chance, happens to be a chess-player. Mikel seemed just the right match.

pn : Qu’il s’agisse de votre scénario ou de la mise en scène de Manuel Martin Cuenca, vous fuyez le cliché à tout prix. Comme cette conversation entre Mikel et Carlos, qui au lieu d’être filmée à l’intérieur du bar, se déroule à l’extérieur, sous la pluie.

A.H : C’était l’idée de Manuel. Quand il a lu le scénario, il m’a dit qu’il faudrait tourner cette scène sous la pluie. En réalité, cela n’a pas été facile car le son de l’eau était si fort qu’on n’entendait pas assez le dialogue. Il a fallu après-coup doubler toute la scène.

That was Manuel’s idea, yeah. When he saw the screenplay, he told me that scene had to be shot under the rain. It was actually quite difficult because when first shot it, the sound of the pounding water was so heavy we couldn’t hear the dialogue that well. So we had to dub the whole scene.

pn : D’où est venu ce brusque changement de rythme, cette accélération sur la fin et l’irruption de la violence ?

A.H : Oui, je voulais trouver un moyen pour relâcher toute cette tension palpable tout au long du film. C’est vrai que cela arrive d’un coup. C’est comme une explosion et à ce moment-là il faut faire un choix, prendre une décision qui certainement va changer quelque chose dans votre vie. Rien ne sera jamais vraiment plus comme avant. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un film pessimiste pour autant. En tout cas, il est réel. Tout le monde est amené à faire face à des moments plus durs. Il suffit juste de trouver un moyen pour s’en sortir.

Well yeah, I had this idea to somehow release all that constriction present throughout the film. It happens all of a sudden, right. It’s like an explosion and you have to make a choice, make a decision and something in your life will be changed. It won’t be the same anymore. I don’t think it’s a pessimistic film. In any case it’s real. Everybody goes through similar hard times. The only thing is to overcome them.


Stéphane Mas