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Quand le Mexique se soulevait
“Les archives photographiques Casasola, Mexique, 1900-1940”, Instituto de Mexico, Paris, jusqu’au 19/02/2005





Un fonds “révolutionnaire”, un peu flou au développement.

Quatre-vingt douze photographies du Mexique au début du siècle dernier ; quatre-vingt douze tirages contemporains réalisés à partir de négatifs sur plaques de verre de différents formats, d’une extrême qualité les uns comme les autres. Une qualité qui, en quelque sorte, “présentifie” la représentation. Cette proximité, produite par la qualité des images, si elle brouille les repères spatio-temporels du spectateur, permet aussi une incroyable empathie avec ces personnages si éloignés dans le temps et dans l’espace.

Dernier état avant travaux

Le fonds Casasola se veut historique. Il couvre la première moitié du XXe siècle mexicain. L’exposition s’ouvre donc sur des images du Porfiriat, les quelques années ayant précédé la Révolution mexicaine au cours desquelles le pays se trouve sous le joug de Porfirio Diaz, qui s’est emparé du pouvoir en 1876. Une période de paix très encadrée qui, comme souvent, voit affluer les capitaux étrangers dans le pays. Les scènes rapportées dans cette première partie montrent un Mexique d’avant la Révolution, dans lequel une petite partie de la population a les moyens de s’occidentaliser. On y voit notamment un groupe de jeunes bourgeois partis s’enivrer au bout d’une ligne de chemin de fer, mais aussi des ouvriers qui manifestent et submergent littéralement un tramway. Cette scène de groupe donne lieu à un très grand tirage (100 x 120), absolument magnifique dans sa définition parfaite de chaque élément de cette foule, comme une prémonition de ce qui va survenir en 1911, une guerre révolutionnaire dans laquelle les plus humbles (ouvriers, paysans) se soulèvent contre les grands propriétaires, la corruption, l’injustice.

La Révolution d’Emiliano Zapata

1911 : le Mexique se soulève. Est-ce un problème de fonds ou est-ce le commissaire de l’exposition qui a choisi de ne montrer que des portraits d’Emiliano Zapata ? Rien sur les autres chefs de factions, Pancho Villa, Carranza ou Obregon. Il est vrai que le paysan Zapata lutte pour “La terre et la liberté” au sud du pays, plus près de la capitale et des photographes, tandis que Pancho Vila s’active au nord. Pourtant, Zapata, au moment de la victoire, n’est pas si impressionnant avec ses jambes en allumettes, malgré ses grandes moustaches et son immense sombrero. Il est d’autant plus touchant lorsque Casasola l’immortalise peu avant sa mort, tête nue, le regard franc et désespéré. Plus flamboyantes, les troupes madéristes (de Francisco I. Madero, qui déclenchent le mouvement révolutionnaire en février 1911 depuis le nord du pays) lorsqu’elles pénètrent dans Mexico au grand galop, dans la poussière, les cris supposés et les grands sourires de ces lieutenants en révolution. Les images Casasola de la révolution mexicaine constitue une part importante de la représentation de l’événement au Mexique. C’est le fonds le plus complet au monde sur l’événement (30 000 images). Il faut dire aussi que les dix volumes de la “Historia grafica de la Revolucion mexicana”, édités peu après les faits par Casasola lui-même, et sans cesse republiés depuis, comme l’utilisation fréquente de ces images par la presse et l’édition, ne sont pas pour rien dans l’élaboration de l’imaginaire collectif mexicain sur la Révolution de 1911. Le terrain est occupé.

Reconstruction

Dans les années 1920-1930, le fonds Casasola reflète bien les nouvelles tendances de l’image photographique, ce qu’en Europe on appelle la “Nouvelle photographie”, ce que les États-Unis nomment la “Straight photography”. Les contre-plongées, les perspectives à vol d’oiseau abondent ici, sur un sujet qui s’y prête : la modernisation du pays après presque dix années de violence et de troubles. Les machines, les grands travaux, les moyens de transports les plus modernes sont représentés dans un effort très politique de mise en valeur du destin national. Quelle image (représentation autant que métaphore) que cet homme en complet nœud-papillon traversant en courant une rue de Mexico en 1922, sautant par dessus les rails du tram, la cigarette au bec, évitant de justesse de se faire renverser par le flot (encore maigre, ne nous emballons pas) des automobiles.

Bas-fonds

Les thèmes de la nuit et de la justice sont peut-être les plus intéressants de l’exposition. Il faudrait faire une anthologie de la putain photographiée, pardon de la femme “de vie galante” (comme on disait au Mexique à cette époque), de Brassaï à d’Agata, en passant par Cartier-Bresson. Les bas-fonds ont toujours attiré l’appareil photographique, surtout celui qui se trouve derrière, donnant lieu à des portraits d’une beauté douloureuse. Très belle sélection aussi sur une justice post-révolutionnaire encore pleine de bonnes intentions. Incroyable petit voleur qui fume nonchalamment sa dernière cigarette juste avant d’être exécuté (les révolutionnaires n’ont jamais été des tendres). Étonnants prisonniers de Belen aux yeux écarquillés, dont l’un tient une boîte mystérieuse sur les genoux. On montre aussi les nouvelles méthodes scientifiques utilisées en criminologie, et ceci est d’importance : la science, c’est l’objectivité et l’objectivité, c’est le contraire de l’injustice, de l’arbitraire, qui régnait au Mexique avant la Révolution. Le peuple n’est pourtant pas infaillible et un texte dit bien comment on est vite revenu sur le principe des verdicts criés par les spectateurs des procès.

Quelques perles encore

Le chapitre Célébrités parle moins à notre culture d’Européens, le plus souvent ignorants de l’histoire sud-américaine. Pourtant il y a cette image de la photographe Tina Modotti au cours de la reconstitution du meurtre de son compagnon Julio Antonio Mella, l’un des responsables du parti communiste mexicain, tué sous ses yeux. Ou le cortège d’enterrement du même, à la tête duquel avance le gigantesque Diego Rivera, ouvrant la route au cercueil de son ami et au drapeau rouge arborant marteau et faucille. Une image plus douce, celle de Graciela Lara prenant son bain dans son tub en 1928. Même sans savoir qui était cette belle demoiselle, le charme opère ; non sans rappeler le “Nu au tub” de Bonnard, peint quelques années plus tôt...

Pionnier or not pionnier

L’histoire de ces images, c’est aussi l’histoire d’un homme, Agustin Victor Casasola (1874-1938), qui a fondé un véritable clan photographique, avec son frère Miguel, ses enfants et petits-enfants, autour de la première “agence d’information [photo]graphique” mexicaine, Casasola Fotografia, créé en 1912. Typographe puis journaliste sportif formé sur le tas, Casasola commence à photographier vers 1905 (tout comme son frère) pour des journaux soutenant le pouvoir en place. Il devient même le photographe personnel de Porfirio Diaz. Au moment de la Révolution, Casasola a l’idée de rassembler des images afin de répondre à la demande des journalistes qui affluent du monde entier pour couvrir l’événement . Son slogan : “J’ai ou je prends la photo qu’il vous faut”. Casasola est présenté par le commissaire de l’exposition (Pablo Ortiz Monasterio, photographe et éditeur mexicain) comme le “Pionnier du reportage photo et de la photo documentaire en général” (sous-entendu au Mexique, je suppose). Des travaux mexicains récents ont cependant montré que son action avait été plus importante dans la constitution du fonds que dans sa production. En d’autres termes, il fut avant tout un grand collectionneur de photographies, ainsi qu’un grand diffuseur d’images, ayant su louer les services d’autres photographes professionnels de talent (Hugo Brehme ou Jimmy Hare) et acquérir des plaques importantes dans l’histoire de la photographie mexicaine (les archives de El Imparcial en 1917 par exemple). On considère aujourd’hui que 483 photographes au moins ont participé à l’approvisionnement du fonds. Une approximation due au fait que Casasola a poussé le vice autocrate à gratter les noms des photographes figurant sur les négatifs (y compris celui de son frère) pour y substituer le sien.

Les archives Casasola (760 000 tirages et négatifs) ont été achetées par le gouvernement mexicain en 1976 et sont désormais conservées par l’Institut national d’anthropologie et d’histoire mexicaine. Difficile aujourd’hui encore au Mexique de faire des recherches sur le rôle exact qu’a joué Agustin Victor Casasola dans la production de ce fonds. Le mythe est tenace. Reste aujourd’hui à rendre hommage, au-delà de leur “rassembleur”, à leurs véritables auteurs.


Nathalie Petitjean
“Les archives photographiques Casasola, Mexique, 1900-1940”, Instituto de Mexico, Paris, jusqu’au 19/02/2005